Paléoblog
Transcription :
Renvois en marge :
Le personnage du bourgeois est peu présent dans la Muse Normande de David Ferrand. Né à la fin du XVIe siècle et décédé en 1660, celui-ci est maître particulier du métier d’imprimeur-libraire dès 1620. En 1632, il devient
maître et garde de sa corporation.
On sait que le début de sa carrière est marqué par une condamnation pour utilisation d’un faux nom lors d’une impression. Par la suite, il est une seconde fois condamné pour avoir “esté trouvez saisies de
quelque inpression contenant avoir esté imprimé à Pragues”. Suite à ces litiges, il délaisse son association avec un autre imprimeur, Jacques Calloué, qui semble l’avoir emmené dans les eaux troubles des impressions clandestines.
Il ne fait
pas partie des imprimeurs importants de Rouen, on peut même le considérer comme de faible envergure. Ainsi, en 1651, il n’imprime que 200 exemplaires d’un dictionnaire au sein de sa corporation et figure parmi les plus petits contributeurs.
D’ailleurs, il n’est pas spécialement connu pour ses impressions, mais pour être l’auteur de la Muse Normande, un recueil de poèmes. Il y décrit la vie quotidienne des Rouennais en mobilisant le “parler purin” ou, autrement dit, un patois spécifiquement utilisé par les ouvriers du drap. De par sa profession, maître libraire, même de petite envergure, David Ferrand fait partie des bourgeois et il possède, notamment, une éducation liée à ce milieu.
« Voyant ainsi tant de plaisans moder,
Et les bourgeois & courtaux de boutique, Comme jadis un Roland frenatique, De drap de Thyr leurs corps accommoder
»
L’essentiel des références qu’il fait au sujet des bourgeois renvoie aux vêtements et à la mode. Par dérision, le verbe « moder » est attaché aux « fils de bourgeois » et il critique la « hardiesse » des bourgeois qui portent « soys sur soys &
Damas sur Damas,/ Et qui fera la nique à l’antique Noblesse ».
Or, si les bourgeois appartiennent bel et bien aux élites urbaines, en raison des privilèges que leur statut offre, ils appartiennent résolument au Tiers État. Sans revenir sur
le détail, étant donné que j’ai déjà abordé ce thème,
le bourgeois se distingue du simple « habitant ». Pour ce dernier, un an de résidence suffit, alors que le bourgeois peut être perçu comme « hyper-privilégié » ou, autrement dit, une élite urbaine par excellence. Pour bénéficier de ce statut,
il faut remplir un certain nombre de critère juridiques qui varient d’une ville à une autre : la naissance dans la cité, la résidence, au moins lors des fêtes principales, l’hérédité de statut, le paiement d’un droit d’entrée, la participations
aux charges communes…
Dans une remontrance de 1633, les échevins confirment cet attrait pour les draps en cherchant à maintenir « la plus importante manefacture que nous y ayons », c’est-à-dire celle des toiles puisque « quantité de bourgeois
les achattent ».
Enfin, les références au Moyen-Orient en matière de textiles renvoient à des draps d’or et, plus largement, à des tissus précieux façonnés « à grandes fleurs ». Ces draps sont arrivés en Europe par l’Italie à partir du XIV e
siècle, avant d’être implantés dans des manufactures à Lyon et à Tours à la fin du siècle suivant. L’oeuvre d’Antonio del Pollaiolo du
Portrait de femme, témoigne de l’influence italienne en matière de draps de Damas, et ce, même s’il évoque ici l’aristocratie. Ce portrait à mi-corps d’une Florentine - de profil sur un fond de couleur bleu - souligne la pureté de ses traits et contraste avec les tissus précieux. Au premier plan, sur ses épaules, on découvre le tissu damassé aux motifs typiquement fleuris.
Les damas, qu’il s’agisse de produits en soie ou en caffart - soit un mélange de poil, de fleuret, de fil, de laine ou de de coton - appartiennent au domaine du luxe depuis le Moyen Âge. Cela démontre donc parfaitement que les modes
en usage dans « la société de Cour » - de Versailles et d’ailleurs - tendent à s’imposer peu à peu à un nombre croissant d’individus dès le XVIIe siècle. La tendance apparait comme nouvelle et choque le petit imprimeur. Marqueur social
par excellence, le vêtement est au coeur d’une « culture des apparences ».
Naturellement, la vision de Ferrand n’est pas sans rappeler celle du Bourgeois gentilhomme de Molière (1670). Comédie-ballet en cinq actes dans laquelle
le maître tailleur profite de la naïveté de M. Jourdain pour lui vendre des vêtements « portés par les gens de qualité ». Cela le rend ridicule, mais l’histoire ne dit pas s’il s’agit de draps de Damas.
Sources :
- AD S-M, 3 E ANC 105, « Remonstrance faicte au Roy par les depputez de sa ville de Rouen touchant la reapretiation des marchandises et augmentations des droictz de traicte domanialle et imposition foraine en la province de Normandie,
adressée a monseigneur le cardinal, duc de Richelieu, Grand Maitre, chef et sur’intendant de la navigation et commerce de France », signée par Du Mesnil, le 25 janvier 1633
- Alexandre Héron, La Muse Normande de David Ferrand - Publiée d'après les livrets originaux (1625-1653), et l'Inventaire général de 1655, avec introduction, notes et glossaire, Rouen.
: Imprimerie E. Cagnard, 1891-1894, vol. 1, p. 102, vol. 2, p. 9 et vol. 4, p. 35
- Dictionnaire de l'Académie française, première édition, Paris : veuve Jean Baptiste Coignard, 1694, p. 302
- Gilbert-Urbain Guillaumin, Dictionnaire universel, théorique et pratique du commerce et de la navigation,
vol. 1, Paris : Librairie de Guillaumin et compagnie, 1859, p. 952-953
- Antonio del Pollaiolo, Portrait de femme, huile sur toile, 52,5x36,5cm, Gemäldegalerie, v. 1465
Bibliographie :
- Laurent Coste, Les bourgeoisies en France – Du XVIe au milieu du XIXe siècle,Hors collection, Armand Colin, 2013
- Norbert Elias, La Société de Cour, Paris : Flammarion,
1985 (réed. 1969)
- Colette Establet et Jean-Paul Pascual, « Les tissus dans les boutiques, les tissus dans les maison : Damas, vers 1700 », Rives nord-méditerranéennes, n° 29, p. 107-124
- Catherine Lanoë, « Images, masques
et visages – Production et consommation des cosmétiques à Paris sous l’Ancien Régime », Revue d’histoire moderne & contemporaine, n° 55, 2008, p. 7-27
- Daniel Roche, La culture des apparences – Une histoire du vêtement (XVIIe-XVIIIe siècle),Paris
: Fayard, 1990
Sitographie :
https://www.aparences.net/art-et-mecenat/renaissance-et-vie-privee/la-mode-au-xve-siecle/
De 1636 à 1638, en pleine vague de révoltes à l’échelle du royaume, on compte trois à quatre mouvements sociaux d’ampleur dans la ville de Rouen. Celui de juin 1638 est des plus intéressant. Un jugement montre qu’une douzaine de revendresses de denrées sont accusées d’avoir volé « quantité de cerises » qui devaient être distribuées sur le marché.
« Ayant faict apporter dudict lieu en ceste ville quantité de cerises dans ung basteau estant devant les quaiz de ceste ville, proche la porte Jean Le Coeur, et pretendant les faire descharger et porter au Bel du Neuf Marché afin d’estre distribuez au publicq, suivant les reiglementz de la pollice »
C’est dans le petit commerce de détail - aux marchandises parfois prohibées - que l’on rencontre de nombreuses femmes en activités. Petites marchandes, souvent itinérantes de rue en rue et de place en place, cet emploi nécessite un investissement
initial faible et concerne donc les milieux les plus populaires. Ce commerce, dit “libre”, est mal perçu par les corporations qui y voient une concurrence capable de leur soustraire une partie de leur clientèle.
Ainsi, en 1566, à Nantes, les
maîtres pintiers (potiers d’étain) adressent une requête afin de faire confirmer leurs statuts et d’y ajouter deux articles destinés à protéger la profession contre la concurrence du commerce libre exercé par des femmes. Ce genre d’activités -
qui n’ont rien de répréhensible en soi - peuvent permettre de belles ascensions sociales. À la fin du XVe siècle, dans la vallée du Rhône, Lucien Bec, natif de Chablais, connu pour savoir acheter et vendre tout ce qui se présente, pratiquant
à l'occasion l'usure, est un bon exemple. Au soir d'une vie bien remplie, il se retire à Genève où ses filles ont déjà fait d'honnêtes mariages.
Sur les quais de Rouen, un matin de juin 1638, lassées d’attendre depuis 4 heure du matin, « grand
nombre » de femmes s’assemblent sur les quais, près de la porte Jean Le Cœur. À 7 heure, elles cherchent à intercepter les cerises avant qu’elles n’atteignent le marché. Il s’agit pour elles de s’accaparer les cerises avant toute taxation du fermier
des droits du Bel. Cette mobilisation féminine violente contraint le navire à stopper son déchargement pour se retirer au milieu de la Seine.
Les accusées sont condamnées à des amendes et sont rappelées aux règlements en vigueurs. Ce dernier mouvement de contestation avant la révolte des Nu-pieds peut difficilement être considéré comme une révolte et se rapproche – sans doute – d’avantage du tumulte, voire de simples échauffourées, selon la classification de Jean Nicolas. Toutefois, cet évènement témoigne d’un mécontentement des gens de métiers, qu’ils soient drapiers, cartiers ou revendresses. La tension sociale s’accroit continuellement jusqu’à l’année 1639. En outre, ce tumulte de 1638 permet de mettre l’accent sur la place des femmes dans les mouvements contestataires, ainsi que sur le rôle des cerises dans l’alimentation d’Ancien Régime.
On connait le rôle des femmes durant la Révolution Française et ce n’est pas un cas isolé puisqu’elles interviennent dans nombre de révoltes d’Ancien Régime, et ce, à travers toute l’Europe. Dans les troubles de subsistances, en particulier, celles-ci jouent un rôle de premier plan. Par ailleurs, Boris Porchnev considère que les femmes ont aussi joué un rôle comme leaders de différents mouvements contestataires. Or, leur rôle a longtemps été négligé par les historiens. Cela résulte d’un effet de sources, mais aussi d’une difficulté d’envisager la violence au féminin. Ainsi, la présence des femmes n’est pas systématiquement mentionnée dans les documents d’archives et, bien souvent, le seul moyen de les entrevoir est de recourir aux interrogatoires de justice. Ici, il s’agit du jugement des revendresses. Ce document présente l’avantage d’être relativement descriptif. Toutefois, à l’inverse d’un interrogatoire, il manque en quelque sorte de vie et ne présente qu’une “version officielle”.
Demeure une question : pourquoi des cerises ? Fruits du pays, à manger frais, cuits ou séchés ; les cerises permettent de couper la monotonie des menus de mai à juillet. À l’image d’autres fruits comme les pommes reinettes et courpendues, les poires, les griottes, les pêches, les prunes, les fraises ou les framboises ces produits sont consommés en saison ou, éventuellement, en confitures et en compotes. À l’hôpital de Genève, le règlement de 1712 stipule que « ceux qui travaillent » reçoivent - en guise de goûter - un morceau de pain et quelques fruits en été. Les oranges restent un luxe, encore au XVIIe siècle, elles n’apparaissent sur les marchés qu’à Noël. Si en milieux ruraux - réservés à la consommation familiale - les fruits ne font que peu l’objet d’un commerce, en ville, la situation est autre et ces aliments demeurent prisés. Ces produits sont issus des jardins et des potagers. Pour Jean-Baptiste de La Quintinie, créateur du potager royal de Versailles et auteur d’une somme sur le jardinage, le terme « potager » recouvre aussi les « fruits rouges, fraises, framboises, cerises et groseilles », et c’est tout naturellement que le Nouveau traité des jardins potagers (1692) se termine par un chapitre intitulé « des fruits du jardin », au nombre desquels sont évoquées cerises hâtives, groseilles, framboises et fraises.
Source :Arch. Dép. Seine-Maritime, 3 E 1 ANC 225, Hôtel-de-ville, acte du 2 juin 1638
Bibliographie :
- coll., « Révoltes urbaines, révoltes rurales », dans Les sociétés au XVIIe siècle - Angleterre, Espagne, France, coll. « Histoire », Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 433-464
- Martine Lapied, « Conflictualité urbaine et mise en visibilité des femmes dans l’espace politique provençal et comtadin, de l’Ancien Régime à la Révolution française », dans Provence Historique, t. LI, n° 202, 2000
- Jean-Pierre Leguay, “La rue : élément du paysage urbain et cadre de vie dans les villes du Royaume de France et des grands fiefs aux XIVe et XVe siècles”, Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, n° 11, 1980, p. 23-60
- Guy Lemarchand, « Troubles et révoltes populaires en France au XVIe et XVIIe siècles. Essai de mise au point », Annales de Normandie, n° 30, 2000
- Philippe Meyzie, L’alimentation en Europe à l’époque moderne (1500-1850), coll. U Histoire, Paris : Armand Colin, 2010
- Jean Nicolas, La rébellion française – Mouvements populaires et conscience sociale (1661-1789), Paris : Seuil, 2002
- Anne-Marie Piuz et Liliane Mottu-Weber, L’économie genevoise, de la Réforme à la fin de l’Ancien Régime (XVIe-XVIIIe siècles), Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève, Genève : Georg Éditeur, 1990
- Boris Porchnev, Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, Paris : SEVPEN, 1963
- Florent Quellier, « Le jardin fruitier-potager, lieu d’élection de la sécurité alimentaire à l’époque moderne », Revue d’histoire moderne & contemporaine, n° 51, 2004, p. 66-78, n° 51, 2004, p. 66-78
Sitographie :
http://n.bachelet.free.fr/Corpo/memoire.htm
http://dhaussy.verjus.free.fr/html/action-femmes.html#nbp1
http://academie-sciences-lettres-toulouse.fr/wp-content/uploads/2017/01/2016-14-JL-Laffont.pdf
« Mon Dieu qui est auteur de nostre vie et qui somme l'homme de la rendre quant il te plais, je te rens grace de ce que tu as apregé les painnes des jours mauvais de cette vie plaines de soussÿ, de misere et de callamittés au tin serviteur, mon fils, Pierre Papavoine, de 29 année et six mois ou viron.
Seigneur veille l'avoir resu en ton repos, prendre et avoir son ame dans ton sain (...) »
Confronté aux registres paroissiaux, le chercheur se trouve perpétuellement aux prises avec des âges suivis de la mention “ou environ” (voire, “ou viron” comme c’est le cas ici). Une première réflexion pourrait nous faire penser qu’ils ne connaissaient tout simplement pas les dates de naissance. Les témoins donneraient donc un âge estimé et
un centenaire n’est bien souvent qu’une personne paraissant très âgée.
C’est, parfois, vrai et nous nous retrouvons avec des fourchettes d’âges avec lesquelles il faut composer. Celles-ci sont toujours approximatives et plus l’âge avance, plus
la marge d’erreur augmente en conséquence. Cela se vérifie bien souvent dans les faits et, en particulier, dans les actes de décès. Toutefois, nos ancêtres n’étaient pas plus bêtes que nous !
Régulièrement, comme dans cet exemple
fourni par le Livre de raison du protestant Jacques Papavoine (1648-1724), les dates sont connues. D’origine espagnole, ce marchand-mercier rouennais rédige un écrit personnel durant l’essentiel de sa vie et il donne de précieux
éléments sur sa famille et sa vie. Lui-même consulte les registres officiels pour vérifier les informations à sa disposition.
Par ailleurs, en appui de sa rédaction, il possède des documents d’archives divers. Cela lui permet de constituer
un véritable historique familial. Observez attentivement la manière utilisée par cet auteur pour mentionner le décès de sa tante :
Calcul pour le décès de sa tante
Comment être plus précis ? Au moment de son décès, Marte Regnoult est âgée de “63 annés, 6 mois & 9 jours”. Notez bien qu’en plus de savoir écrire, notre marchand est tout à fait capable de réaliser une soustraction, comme en témoigne la marge. Ce petit calcul lui permet d’établir la date de naissance exacte. D’autres exemples, dans le même manuscrit, témoignent de mentions détaillées :
"agé de 22 ans, 7 mois, quelque jours"
Le même phénomène se rencontre dans d’autres ouvrages. C’est le cas, par exemple, du livre de raison des Le Cornu. Ainsi, en 1663, lors du décès d’Anthoine, la mention marginale est très précise :
"59 ans, 4 mois, 12 jours, 5 heures 3 carts"
Alors, comment justifier la récurrence de la mention “ou environ” dans les actes ? Comme bien souvent, il s’agit d’une formule. D’un point de vue juridique, celle-ci présente l’avantage certain d’intégrer l’ambiguïté entre l’âge révolu et l’âge
en cours. En d’autres termes, avoir 20 ans révolus n’est pas la même chose que d’être dans sa vingtième année. Cette formule est, d’ailleurs, si bien intégrée qu’elle est usitée dans les archives judiciaires, naturellement, mais aussi les écrits
plus personnels.
Comme le souligne Annie Antoine, les registres paroissiaux offrent donc le regard de la personne – ou de ses proches – sur elle même, avec le filtre du curé. Ainsi, lorsque ce dernier consigne la qualité du
nouveau marié, c'est sur la foi du déclarant qu'il agit. La terminologie employée prend en compte la dimension affective et symbolique autant qu'économique ou juridique. Elle ne témoigne donc pas seulement des faits, mais aussi de leur perception
par la communauté, ce qui peut entraîner des écarts flagrants.
« Aussi sera faict registre en forme de preuve des baptêmes, qui contiendront le temps et l'heure de la nativité, et par l'extrait dudit registre, se pourra prouver le temps de majorité ou minorité et sera pleine foy à cette fin »
Par ailleurs, depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts du mois d'août 1539 (art. 51, ci-dessus), les registres paroissiaux ont une valeur en justice. Ils servent « en forme de preuve » pour attester de l'âge. Leur structure est donc rigoureusement
codifiée et répond à des normes précises. Du nord au sud de la France - en dépit de quelques aménagements - un acte de naissance, de mariage ou de décès présente - autant que possible - les mêmes informations. Naturellement, la qualité de la rédaction
et la précision de l’acte dépend d’une multitude de facteurs.
Raisonnons par l’absurde. Il arrive, si souvent (au grand dam des généalogistes), que les actes ne comportent pas de filiations. Les parents des mariés ou des défunts ne sont pas
mentionnés. Est-ce à dire que nos ancêtres ne les connaissaient pas ou qu’ils seraient tous enfants illégitimes ?
Encore une fois, ceux-ci n’étaient pas stupides et les curés non plus. La rédaction stéréotypée d’actes à valeur juridique
et pouvant faire foi en justice nécessite de suivre des modèles précis, mais adaptables. Cet article a donc pour vocation de vous rappeler que la recherche historique nécessite de la prudence et de se prémunir des conclusions trop
hâtives.
Source :
BM de Rouen, Ms. M 281, Livre de raison, par Jacques Papavoine
BM de Rouen, Ms. Ms Y 128, Livre de raison, famille Le Cornu
Bibliographie : - Anne Antoine (dir.), Campagnes de l'Ouest – Stratigraphie et relations sociales dans l'histoire, coll. « Histoire », Presses universitaires de Rennes, 1999
- Jean-Louis Flandrin, Les amours paysannes, XVI-XIXe siècle, coll. "Folio / Histoire", Gallimard / Julliard, 1975 (réed. 1993), coll. "Folio / Histoire", Gallimard / Julliard, 1975 (réed. 1993)
- Benoît Garnot (dir.), Les témoins devant la justice – Une histoire des statuts et des comportements, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2003
- Benoît Garnot, « La justice pénale et les témoins en France au 18e siècle : de la théorie à la pratique », Dix-huitième siècle, n° 39, 2007, p. 99-108
- François Lebrun, La vie conjugale sous l’Ancien Régime, coll. "Histoire moderne", Armand Colin, 1993 coll. "Histoire moderne", Armand Colin, 1993
- René Le Mée, “La réglementation des registres paroissiaux en France”, Annales de Démographie Historique, 1975, p. 433-477
- Fabrice Mauclair, « Les justiciables au service de la justice : témoins, experts, médiateurs et arbitres – Dans le tribunal seigneurial de Château-la-Vallière au XVIIIe siècle », dans Justices locales – Dans les villes et villages du XVe au XIXe siècle, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 223-248
- Sylvie Steinberg, Une tache au front : la bâtardise aux XVIe et XVIIe siècles, coll. « L'évolution de l'humanité », Albin Michel, 2016 , coll. « L'évolution de l'humanité », Albin Michel, 2016
- Bernard Thomas, « Latin ou français : la tenue des actes paroissiaux dans les États pontificaux d'Avignon et du Comtat Venaissin, entre usage canonique, pratique administrative et choix de souveraineté (1768-1792) », Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques, dans Contracts, conflits et créations linguistiques, 2015, p. 85-99
« Exemple de la hauteur de Mr de Longueville. Mr Morant, intendant, passa en revue au Pont de l’Arche un regiment. Mr de Longueville, irrité, l’envoya enlever dans un carosse à 6 chevaux, escorté de 6 gardes.
On l’emmena à St Ouen, dans une chambre, où il fut un jour et demy sans qu’on luy parlast. »
Ironique, le prieur de Saint-Ouen de Rouen de 1663 à 1669, Victor Texier (1617-1703) évoque dans ses Mémoires une affaire retentissante. Il présente l’épisode fameux comme un “exemple de la hauteur de Mr de Longueville”,
ici cela renvoie à la fermeté, à la fierté ou à l’orgueil. Ce conflit oppose deux personnages importants de la province de Normandie durant l’Ancien Régime : le gouverneur de Normandie et l’intendant.
Depuis 1619, Henri II d’Orléans (1595-1663)
est gouverneur de l’une des principales provinces du royaume de France, la Normandie. Prince et pair de France, il est issu de la maison d’Orléans-Longueville. Il a d’abord été gouverneur de Picardie, puis de Normandie à partir de 1619. Issu de
la famille royale, il n’hésite pas à se révolter dès 1620, en ralliant le parti de Marie de Médicis. Il est alors suspendu de ses fonctions durant quelques mois. À partir de 1637 et jusqu’en 1641, on observe un certain retour en grâce puisqu’il
mène des campagnes en Franche-Comté, dans le Piémont, en Alsace et dans le Palatinat. Le milieu des années 1640 constitue l’aboutissement de sa carrière. Il dirige alors la délégation française lors des pourparlers préliminaires des Traités de
Westphalie qui mettent un terme à la guerre de Trente Ans (1618-1648). En tant que gouverneur, il est une véritable figure tutélaire qui apparaît partout dans les archives. Il est « celuy qui commande en chef » et qui est en rapport avec toutes
les institutions ou les personnalités pouvant s’adresser directement à la personne du roi. En homme de Cour, on espère son soutien et le support de son crédit personnel.
Duc de Longueville, gouverneur de Normandie
Comme le souligne Madeleine Foisil, la deuxième partie de sa carrière - après la Fronde - est moins éclatante et turbulente que la première. Durant les dernières années de sa carrière, l’âge avançant, “les grands élans de la vie se sont apaisés”. Toutefois,
il réalise un dernier coup d’éclat en obtenant la tête de l’intendant, Thomas Morant (1617-1691).
Celui-ci est d’une tout autre envergure. Baron puis marquis du Mesnil-Garnier à partir de 1659, il est issu d’une noblesse récente. D’abord conseiller
au Grand Conseil dès 1636, il achète la charge de maître des requêtes en 1643. Cet office lui donne accès à des intendances. Celui-ci débute donc sa carrière d’intendant en Guyenne (dans le sud-ouest du royaume), au lendemain de la Fronde. Il avait
alors pour mission de maintenir la province dans l’obéissance et de briser la résistance des parlements de Bordeaux et de Toulouse.
En 1653, il est nommé en tant qu’intendant de Caen, puis de Rouen en 1657. Deux ans plus tard, il est commis à Tours
avant d’être révoqué en 1661, suite à l’arrestation de Nicolas Fouquet. En 1680, il obtient l’intendance de Provence, avant de finir sa carrière en tant que Premier Président du Parlement de Toulouse en 1687. L’affrontement entre ces deux personnages
est logique puisqu’il s’agit d’une concurrence de compétences. Ainsi, tenant son pouvoir du Conseil et non du roi, aucun texte ne réglemente la fonction d’un intendant. Il s’agit d’un commissaire qui est donc révocable. C’est un agent encore « extraordinaire
», mais la continuité des commissions rend cette fonction de plus en plus stable et menace les prérogatives d’un gouverneur qui se retrouve cantonné à un rôle honorifique, en matière de police notamment.
L’affaire débute à la fin de l’année
1658, alors qu’un conflit éclate entre les deux hommes au sujet du logement des gens de guerre dans la province. Le duc se sent alors menacé dans ses prérogatives et entend « faire sa charge de gouverneur de Normandie de la maniere qu’elle a toujours
faict ». À cette occasion, le duc souligne que le rôle des intendants est de s’intéresser aux questions d’impositions et de « pourvoir à la subsistance des gens de guerre », mais que la question de la répartition du logement lui appartient.
L’année
suivante, le conflit au sujet des prérogatives militaires entre les deux hommes rebondit. Le passage en revue d’un régiment par Morant au Pont-de-l’Arche provoque la fureur du duc de Longueville qui « l’envoya enlever » dans un carrosse. Il est alors
enfermé à Saint-Ouen durant un jour et demi, « sans qu’on luy parlast ». Cette abbaye est la résidence habituelle du duc à Rouen. Si le prieur Victor texier considère que Morant est un « homme fort fier », il accepte de jouer le rôle d’intermédiaire
avec le duc de Longueville. Après une négociation intense, le gouverneur accorde un dîner avec l’intendant et « il y vint et y disna en bons amis ». Cet épisode marque son pouvoir et permet au duc d’obtenir la révocation de l’intendant puisqu’il «
n’osoit entrer à Rouen » par la suite.
Cette affaire montre l’influence encore sensible d’un gouverneur à la veille du règne personnel de Louis XIV. À partir de 1661, leurs prérogatives sont de plus en plus limitées, grignotées petit à petit par
les intendants.
Sources :
- BnF, F FR 25 007, Mémoires, par Victor Texier, f° 16
- AN, 394 AP 1, “Escrit de Mr Longueville touchant le different du logement des gens de guerre”, du 12 décembre 1658
- BM de
Rouen, Montbret, Y 12, Histoire de la Maison de Longueville
- Dictionnaire de l'Académie, Première édition, Paris : veuve Jean-Baptiste Coignard, 1694, p. 531 et 558
Bibliographie :
- Lucien BÉLY, Louis XIV - Le plus grand roi du monde, coll. “Classiques de l’Histoire”, Paris : Éditions Jean-Paul Gisserot, 2005
- Edmond ESMONIN, “Un épisode du rétablissement des intendants
: la mission de Morant en Guyenne (1650)”, Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, n° 1, 1954, p. 85-101
- Madeleine FOISIL, “Une mort modèle. La mort du Duc de Longueville, gouverneur de Normandie (1663)”, Annales de Normandie, n°
1, 1982, p. 243-251
- Arlette LEBIGRE, La duchesse de Longueville, Paris, Perrin, 2004
- François OLIVIER-MARTIN, L’administration provinciale à la fin de l’Ancien Régime, coll. « Reprint
», LGDJ, 1997
- Anette SMEDLEY-WEILL,Les intendants de Louis XIV, Paris : Fayard, 1995
La vision de l’historien sur les plus vulnérables est souvent tributaire du regard que les riches et privilégiés portent sur cette catégorie de personnes. Comme le souligne François Furet, ces Hommes des marges s’opposent aux élites et sont appelés «
menu peuple » dans les sources.
Ainsi, on n’a accès aux pauvres et aux vulnérables qu’à travers le « regard des dominants » producteurs d’archives. Selon le Dictionnaire de l’Académie, la personne qui est vulnérable est celle « qui
peut estre blessé ». La pauvreté est – sans conteste – le premier facteur de vulnérabilité puisque le moindre changement environnemental, économique ou social peut être capital. Toutefois, il s’agit d’une catégorie « tiroir » qui peut regrouper une
multitude d’individus aux problématiques différentes en fonction de l’endroit où le chercheur place le curseur (enfants, femmes, handicapés, personnes âgées…). Du XIVe au XVIIIe siècle, la notion de pauvreté se caractérise par
une certaine permanence et concerne avant tout l’individu qui ne dispose que de sa force de travail.
Toutefois, en elle-même, cette notion est nécessairement relative, suivant les époques, les lieux ou le contexte. Dans les dictionnaires, le pauvre
n’est autre que celui qui « souffre », qui est « affligé, malheureux, désolé » et « qui est dans la nécessité ». Généralement, la définition renvoie aussi à l’absence puisque c’est la personne « qui n’est pas riche » ou « qui n’a pas de bien ». Le
pauvre recoupe donc à la fois un état intrinsèquement lié à l’individu et une potentialité, c’est-à-dire une vulnérabilité. Dans la Muse Normande, le pauvre est un personnage que le petit imprimeur rouennais David Ferrand aime à mettre
en image. Or, il demeure, lui-même, tributaire d’une vision héritée de l’Humanisme et partagée entre dénonciation et volonté d’accompagnement :
« Si queuque fais à soupire d'angoisse,
Ch'est à steur'là qu'o la cherge & l'oppresse ;
En vain no vait ses membres descouvers,
Sa chair jaunastre & à demy perchée,
Sans s'apiter à vair qu'à z'yeux ouvers »
En 1640, David Ferrand (1589-1660) offre un regard rempli d’empathie sur la peur du pauvre à demi-mort et tenaillé par la faim. En multipliant les descriptions de ce type, il cherche à pousser son auditoire et son lectorat à s’apitoyer sur
les pauvres, alors même qu’il ne cesse d’utiliser des substantifs péjoratifs pour condamner la mendicité qu’il réprouve. De ce point de vue, ce Rouennais a de l’imagination en évoquant des « petits gueux d’hostiere », c’est-à-dire des mendiants allant
de porte en porte, des « trucheurs » qui renvoient à ceux jugés « professionnels » ou en utilisant encore les métaphores, comme celle des « morpions ». On est au cœur de l’ambivalence des catholiques vis-à-vis du pauvre. Ainsi, le nécessiteux renvoi
à deux images paradoxales. S’ils évoquent l’image de Dieu incarné, ils évoquent aussi les fainéants et les profiteurs. Le langage et les expressions mobilisées par David Ferrand sont le reflet de ses peurs et, à l’occasion, de son repentir vis-à-vis
des marginaux.
De manière générale et pour leur permettre de subsister, sans recours à la mendicité, les autorités estiment qu’il faut leur distribuer trois sols par jour dans le cadre de l’aumône. L’idée avancée est bel et bien de les empêcher
de mendier en les contraignant à « vivre chez eux ». Ils sont aussi obligés de se rendre tous les samedis dans des lieux de distribution définis. Les pauvres dits « honteux » sont traités de manière séparée puisqu’ils font l’objet d’un « rolle à part
» et l’aumône est distribué à leur domicile. En 1650, le nombre de pauvres invalides à Rouen est estimé à 600, et ce, sans prendre en compte les enfants et les pauvres « honteux ». Seuls quelques pauvres, les invalides, considérés comme des « vrais
» pauvres, sont autorisés à demander l’aumône, les autres étant donc cachés à la vue de tous.
Or, les nécessiteux bénéficiant de l’aumône ne sont qu’une partie de tous ceux qui se concentrent dans la ville : les malades sont admis dans les hôpitaux, les valides sont forcés au travail et les horsains sont expulsés, alors que certains sont assistés secrètement, mais préservés. Depuis quelques décennies, sous l’impulsion de chercheurs tels que Michel Mollat, Bronislaw Geremek, Jean-Pierre Gutton ou Alan Forrest, le thème de la pauvreté est revenu au centre de l’attention en offrant des perspectives plus détachées du seul regard des représentants du pouvoir.
Illustration :
- Sébastien BOURDON, Les Mendiants, Musée du Louvre, 49x65cm, 1640
Sources :
- BM Rouen, Ms. M. 276, fos 82 et 83
- Alexandre HÉRON, La Muse normande de David Ferrand, vol.
2, Rouen : E. Cagniard, 1892, p. 200
- Pierre RICHELET, Dictionnaire François,Genève : J.-H. Widerhold, 1680, p. 159
- Antoine FURETIÈRE, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts...,vol.
1, La Haye, A. et R. Leers, 1690, “pauvres”
- Dictionnaire de l’Académie Française,Paris : veuve Jean-Baptiste Coignard, 1694, p. 666
Bibliographie :
- Patrice BOURDELAIS, « Qu’est-ce que la vulnérabilité – « Un petit coup renverse aussitôt la personne » (Süssmilch) », Annales de démographie historique, n° 110, 2005, p. 5-9
- Roger CHARTIER, « Pauvreté
et assistance dans la France moderne : l’exemple de la généralité de Lyon », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, vol. 28, n° 2, p. 572
- Laurence FONTAINE, « Pauvreté, dette et dépendance dans l’Europe moderne », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, n°
40, 2007, p. 79-96
- Alan FORREST, Les Pauvres et la Révolution,Paris : Perrin, 1988
- François FURET, « Pour une définition des classes inférieures à l’époque moderne », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, n°
3, 1963, p. 459
- Bronislaw GEREMEK, La potence ou la pitié : l’Europe et les pauvres du Moyen Âge à nos jours, Paris : Gallimard, 1987
- Jean-Pierre GUTTON, La société et les pauvres : l’exemple de la généralité de Lyon (1534-1789), Bibliothèque
de la Faculté des lettres et sciences humaines de Lyon, XXVI, Paris : Société d’édition « Les Belles Lettres », 1971
- Michel MOLLAT, Les Pauvres au Moyen Âge – Étude sociale,Paris : Hachette, 1978
- Denise TURREL, « Une identité
imposée : les marques des pauvres dans les villes des XVIe et XVIIe siècles », Cahiers de la Méditerranée, n° 66, 2005, p. 1-4
L’une des grandes difficultés que rencontre quotidiennement le paléographe – de même que l’historien – est d’interpréter avec justesse le sens des mots qu’il a lus. Pour ce faire, et éviter tout contresens dommageable, il doit se débarrasser de ses références culturelles d’homme ou de femme du XXIe siècle, et se mettre dans l’état d’esprit de l’auteur du texte, c’est-à-dire dans le contexte culturel de l’époque de cet auteur ; dans le sillage de Lucien Febvre, les historiens parlent d’outillage mental. La tâche est parfois difficile et les erreurs d’interprétation sont hélas toujours possibles. D’autant que le sens de nombre de mots a évolué, générant de fâcheux « faux-amis ».
Prenons l’exemple d’une personne qui rencontrerait le mot « amour » dans un acte notarié de l’Ancien Régime et penserait être confrontée à la « violente passion que la nature inspire aux jeunes gens de divers sexes » (Furetière)[1].
Hélas pour le romantisme, le mot « amour » qui se relève assez régulièrement dans les austères formules juridiques des actes notariés, voire même dans les plumitifs des cours de justice de l’Ancien Régime, n’a rien à voir avec la belle définition de Furetière. Au début de l’époque moderne, « amour » avait certes déjà le sens que nous lui connaissons aujourd’hui. Mais, tout comme en latin (amor, oris, m.), il avait également une autre acception bien plus nuancée, celle d’une simple affection pour quelqu’un (amitié) ou pour quelque chose (intérêt, attrait). Le Dictionnaire Godefroy[2], en donne la définition suivante :
« Pour l’amour de quelqu’un, par la considération, par l’estime, par l’affection qu’on a pour quelqu’un. »
Ce sens d’amitié simple s’était certes déjà perdu dans la langue courante de la fin du XVIIe siècle, au profit de notre définition actuelle. Il serait ainsi vain de rechercher dans un dictionnaire du Grand Siècle le sens ancien de ce mot. Mais il ne faut pas perdre de vue que la langue juridique a toujours été particulièrement conservatrice, et qu’au XVIIIe siècle encore, le mot « amour » était toujours utilisé dans les actes notariés dans son sens désormais vieilli.
À titre d’illustration, voici l’extrait d’un inventaire après décès parisien du début de l’année 1548 (n. st.), où il est question d’une donation faite un siècle plus tôt par « Charles de Mornay pour la bonne amour naturelle qu’il avoyt à Philbert Bastard de Mornay, son cousin ». Notons au passage qu’au singulier, le mot « amour » était toujours du genre féminin dans les textes de l’époque moderne.
du XXIIIIe jour d’aoust mil IIIIC XLIX, par lequel appert
Charles de Mornay, pour la bonne amour naturelle
qu’il avoyt à Philbert Bastard de Mornay, son
cousin, luy avoir donné l’hostel appellé l’hostel de
Guigneville avec toutes les terres, prez, boys, cens,
rentes, fiefz, arrieres fiefz, la justice qui y
appartient, ensemble tous les aultres droictz
quelzconques qui y appartiennent, ainsy que plus à plain
appert par lesdictes lectres, inventorié au doz……VIxxXIX. »
Eu, 3 septembre 1580, AD76, 2E14/744
…« Ceste donation faicte
pour la bonne amour naturelle que ledict donneur
porte ausdictes filles »…
Eu, 12 décembre 1596, AD76, 2E14/865
du Sauchoy a esté par eulx aussy dict et declaré
que pour la bonne amour qu’ilz ont à ladicte
damoizelle Ysabeau Le Goix et en consideration
de sondict mariage, qu’ilz luy avoient et ont par ces
presentes donné, ceddé, quicté et transporté »…
Sont également concernés les testaments, où des legs particuliers pouvaient être consentis par le testateur pour « la bonne amour qu’il porte » à tel parent ou à tel ami. Et encore les transactions, où l’on relève souvent la formule « pour nourrir paix et amour ensemble ».
Cette acception désuète du mot « amour » n’a d’ailleurs pas échappé à Nicolas Buat et Evelyne Van den Neste qui, dans leur excellent Dictionnaire[3], rappellent que ce mot avait, dans les actes notariés, le sens d’affection, de charité civile, et renvoient à l’article amitié.
[1] Antoine Furetière, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois, tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts, Rotterdam, 1690, vol. 1.
[2] Frédéric Godefroy,
Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle
, Paris, 1895, tome VIII, Complément 1, p. 111, col. 3.
[3] Nicolas Buat et Evelyne Van den Neste,
Dictionnaire de paléographie française
, Paris (Les Belles Lettres), 2016, p. 41.
À l’ombre de la cathédrale de Rouen, l’Hôtel-Dieu de La Madeleine est desservi par une double communauté d’hommes et de femmes, placés sous la direction d’un prieur. Dès le XIIe siècle, il prend le nom de prieuré de La Madeleine et s’étend
progressivement jusqu’à l’incendie de 1624 qui permet de mieux comprendre son fonctionnement grâce à l’état des lieux qui en découle.
Le vendredi 13 septembre, un incendie se déclenche avec « grande force et abondance » et ravage l’établissement
en raison de l’inattention d’un épicier. L’incendie reste actif six jours consécutifs et « donna beaucoup d’espouvente aux pauvres qui estoitz dans la feurrerie qui comblez de fumée furent (soit couchés, bossus et agonisantz) contraintz de fuir dans
l’aistre de Nostre Dame ».
L'Hôtel-Dieu de La Madeleine de Rouen
Le terme de “feurrerie” est, ici, une variante orthographique de “forrerie”, c’est-à-dire le lieu où l’on stocke le foin. Espace de refuge, l’aitre correspond au parvis ou à un porche couvert de la cathédrale de l’autre côté de la rue. Échappant de peu aux flammes grâce à l’intervention solidaire de religieux Capucins qui s’exposent au feu, la « grande salle des pauvres » mesure 50 mètres de longueur pour 15 mètres de large et peut comporter 80 lits. Accolée à celle-ci s’ajoute une infirmerie de 30 lits, ainsi que trois salles plus petites pour des soins spécifiques. En 1655, on ajoute à l’Hôtel-Dieu reconstruit la salle Saint-Louis à l’est de la rue du Bac et la salle Saint-Charles au sud de la rue de La Madeleine, signe de besoins croissants. Situé au cœur de la ville, son emplacement est constamment remis en cause par les autorités, à tel point qu’en 1569, l’Hôtel-Dieu se dote d’un terrain servant de « lieu de santé » aux marges de la ville et permettant d’isoler les contagieux ou encore de désinfecter les objets et vêtements contaminés.
En 1654, le Parlement intervient finalement et ordonne la construction d’un nouvel hôpital en dehors des murs et, en mars, les premières pierres sont posées. Celui-ci se compose de deux bâtiments. Le premier est l’hôpital Saint-Louis, destiné aux malades, alors que le second – Saint-Roch – est réservé aux convalescents. De manière générale, l’assistance publique a fait l’objet d’études historiques. Toutefois, si le Moyen Âge et l’époque révolutionnaire ont été explorés de manière plus approfondies peu d’études se concentrent de manière privilégiée sur le Grand Siècle qui dénombre pourtant nombre d’évolutions notables.
Baptiste Etienne
BM Rouen, Ms. M 41, Journal, par Philippe Josse, f° 53
Bibliographie :
- Sébastien LE BRAS, L’Hôpital général et l’assistance à Rouen aux XVIIe-XVIIIe siècles, Mémoire de Maîtrise d’histoire, Université de Rouen, 1993
- Yannick MAREC (dir.), Les hôpitaux de Rouen : du Moyen Âge à nos jours – Dix siècles de protection sociale, Paris : Éditions PTC, 2005
- Jean-Claude VIMONT, « L’hôtel-Dieu de Rouen au cœur d’un espace néo-classique », Mémoire de la protection sociale en Normandie, n° 1, 2002
Pour illustrer l’affaire des possédées de Loudun, rien de mieux que ces signatures du pacte supposé du prêtre Urbain Grandier avec le diable. Tout y est pour faire illusion : une graphie particulière, des fourches et des dessins énigmatiques. Faux grossier, produit en justice, ce document démontre parfaitement la situation ubuesque de ce procès en sorcellerie. L’affaire des possédées de Loudun est, sans doute, l’un des cas les mieux documenté. Celle-ci éclate au cœur de l’épidémie de sorcellerie mis en avant par Hugh Trevor-Roper qui frappe le royaume de France de 1560 à 1650. Ainsi, le cas de Loudun n’est pas sans en rappeler d’autres célèbres, telles que la possession de Marthe Brossier en 1599 ou celles d’Aix (1610-1613) et de Louviers (1633-1647).
Si, progressivement au cours du XVIIe siècle, le rôle joué par les juges dans ce type de procès provoque de plus en plus l’abandon des poursuites, dans les années 1630, nous sommes encore au cœur d’une justice d’exception. Justice d’exception puisqu’elle ne suit pas le cours « normal » d’un procès civil, nous sommes donc confrontés à une situation hors norme. Les problèmes d’interprétations posés par l’histoire de la sorcellerie et de sa répression ne cessent d’interpeller les historiens. La sorcellerie est donc au centre de l’attention des historiens, comme en témoignent les nombreux ouvrages et publications qui se succèdent sur le sujet depuis la publication de Michel de Certeau en 1969. Ainsi, on note le travail conséquent de Robert Mandrou sur le sujet ou encore l’apport de Carlo Ginzburg. Ce dernier voit dans la sorcellerie une formation culturelle organisée autour d’une croyance dans un complot et, il faut bien le souligne, l’affaire de Loudun n’en est pas dénuée. Loudun est ce que l’on peut qualifier une « frontière de catholicité ».
Nous sommes aux confins du Poitou et de la Touraine. Loudun, parfois qualifiée de « deuxième La Rochelle » (bien qu’elle n’ait pas subi le même sort dramatique que le port protestant), est une ville aux fonctions administratives et judiciaires. Il s’agit d’un centre intellectuel, une cité prospère et surtout, elle aussi, est une place de sûreté dans une province marquée par la Réforme. Par ailleurs, cette ville est à proximité de la ville neuve de Richelieu et subit une ponction à cette occasion. Ainsi, Richelieu est édifiée entre 1631 et 1642, elle porte l’empreinte de son fondateur et commanditaire, le cardinal de Richelieu. Conçue suivant le principe de la « cité idéale », elle est basée sur un plan en damier.
Les années 1630 marque donc un profond bouleversement pour la ville et c’est à cette occasion que Jeanne des Anges porte des accusations en sorcellerie suivant un modèle classique. Ainsi, la prieure des ursulines de Loudun jure que le curé de St-Pierre, Urbain Grandier, l’a ensorcelée au même titre que sa communauté. L’affaire locale prend vite un tour national puisque Grandier est ennemi du cardinal Richelieu et celui-ci pousse à la condamnation.
Portrait d'Urbain Grandier (1627)
Tout au long de la procédure judiciaire qui va le broyer, Urbain Grandier reste inflexible. Alors même que la décennie 1630 est marquée par les répercussions du siège de La Rochelle qui illustre la volonté royale d’imposer le catholicisme et de rogner les droits accordés par la mise en place de l’Édit de Nantes, ce prêtre cadre mal avec la réforme catholique. Qui est Grandier ? Urbain Grandier n’avait rien pour « entrer dans l’histoire », a priori. Né vers 1590, il n’est qu’un simple prêtre dans une paroisse urbaine d’une ville secondaire du royaume de France. Fils d’un notaire, il est nommé à l’âge de 27 ans comme curé de cette église et devient chanoine de l’église de Sainte-Croix de Loudun, à partir de juillet 1617. Toutefois, Grandier dérange. Ses sermons attirent les foules et son profil de séducteur fait de lui un tombeur de femmes. Il est responsable de la grossesse de la fille du procureur du roi, alors âgée de 15 ans. Il devait seulement lui enseigner le latin et finit par l’abandonner pour se mettre en ménage avec une orpheline, issue de la haute noblesse et destinée à la religion. Grandier construit alors tout un argumentaire, à travers un Traité contre le célibat des prêtres, pour justifier sa conduite. Iconoclaste, il ne peut que se heurter à la position de l’Église engagée dans la Réforme avec le Concile de Trente. S’il est arrêté pour débauche, celui-ci gagne son procès et revient à Loudun.
Démarché par la supérieure du couvent des Ursulines de Loudun, Jeanne des Anges, qui lui propose de devenir le confesseur de la communauté, Grandier se récuse et la supérieure porte son choix sur le chanoine Mignon, ennemi de Grandier.
C’est le début de l’affaire puisque durant une dizaine d’années, le confesseur des Ursulines ainsi que nombre de notables vont s’attaquer à Grandier en multipliant les procédures judiciaires et en s’attaquant aux mœurs du curé. Par ailleurs, celui-ci
s’était aussi montré discourtois envers Richelieu, alors qu’il n’était pas encore cardinal. Toutefois, en lui prenant la préséance lors d’une cérémonie, Grandier s’en est fait un ennemi. Le cardinal l’avait sans doute oublié, mais dans les
années 1630, Richelieu souhaitait faire abattre le château et une partie des remparts et… Grandier s’y oppose publiquement. Mal lui en a pris!
Portrait de Jeanne des Anges
Jeanne des Anges, née Belcier en janvier 1602, est issue d’une famille de petite noblesse de Saintonge. Après un accident de jeunesse, elle demeure handicapée toute sa vie. Dès l’âge de 5 ans, elle subit une instruction religieuse auprès de ses tantes
maternelles, bénédictines à l’abbaye royale de Saintes. Si elle a une instruction rudimentaire, elle maîtrise le latin. Supportant mal les contraintes des règles de Saint Benoît, elle rejoint finalement le noviciat des Ursulines de Poitiers, soumises
à la règle de Saint Augustin, en 1622. Un an plus tard, elle prononce ses vœux et prend le nom de Jeanne des Anges. Sa vie est alors jugée inconvenantes et elle-même en convient puisqu’elle écrit que « j’ai donc passé ces trois années en grand
libertinage ».
En 1627, lorsque le couvent de Loudun est créé, elle fait partie du groupe des fondatrices et parvient à se faire nommer prieure. C’est à ce moment et alors même qu’elle ne connait pas Grandier personnellement, qu’elle en vient
à l’accuser. Pour autant, à la mort de Grandier, les signes de possession ne cessent pas. À partir de la fin des années 1630, la soeur devient de plus en plus pieuse, voire mystique, et tout rentre dans l’ordre dans le couvent. Son accusation
est reprise par nombre d’Ursulines. Au total, neuf religieuses Ursulines seraient possédées ainsi que trois religieuses séculières. À l’image de Jeanne des Anges, toutes accusent Grandier. Poussant des cris, elles appellent le prêtre “leur maître”.
L’interrogatoire de Grandier révèle aussi que « toutes les autres possedées firent des cris et des diableries qu’on ne sçauroit exprimer ». De plus, leur exorcisme en public attire une grande foule qui vient tant pour le spectacle
que pour se faire peur. Au coeur d’une société très cadrée, ces corps qui se déhanchent dans des positions suggestives et l’expression de propos scandaleux ne peuvent qu’éveiller la curiosité. La ville se divise entre partisans de Grandier et
pro possession... l’affaire fait grand bruit!
On peut alors s’interroger quant à l’intérêt de porter de telles accusations pour ces religieuses. Le simple refus de Grandier de devenir confesseur de la communauté ou le cas psychiatrique de Jeanne ne suffisent pas. Or, le couvent est dans une situation financière très délicate. La reconnaissance d’une possession permet à la communauté de bénéficier d’une pension royale conséquente. Et pour cause, durant quelques années, les Ursulines de Loudun ne recrutent plus et n’ont pratiquement plus de donation. Certaines soeurs accusatrices considèrent même que le chanoine Mignon les aurait incitées à enfoncer le prêtre. De plus, cette affaire donne à Jeanne des Anges une réputation exceptionnelle. Officiellement “convertie” en 1637, elle entreprend un tour triomphal du royaume de France l’année suivante. Considérée comme une thaumaturge et une miraculée.
Accusé une première fois, Grandier est acquitté, avant que la procédure ne soit relancée par l’intervention royale. Passé à la question (doux euphémisme pour parler de torture), Grandier fait preuve d’une étonnante résistance. Il ne cesse de nier
les accusations. Néanmoins, cette fois, rien ne peut arrêter le cours de la justice et sa condamnation à mort est inévitable. Un tribunal d’exception sous-entend la certitude de la condamnation et l’affaire de Loudun se déroule donc logiquement.
Le 18 août 1634, le prêtre est envoyé au bûcher après avoir été reconnu coupable.
Les controverses suscitées par l’affaire des possédées de Loudun contribuent puissamment à la mise en cause des procès en sorcellerie en France. Si la ville est déjà menacée par l’accroissement de la concurrente et voisine Richelieu,
son sort s’aggrave encore à partir de l’été 1632 et les scènes de possession du couvent des ursulines. Toute l’affaire est terminée dès 1634, au moment même où l’entrée ouverte dans la guerre de Trente ans devient inéluctable et après la « journée
des dupes ». Cette affaire est l’occasion pour le pouvoir de montrer qu’ils agissent fermement sur le front intérieur, en champions du catholicisme. En somme, la ville de Richelieu, symbole de la puissance du cardinal, devient l’instrument de
la reconquête catholique et doit l’emporter sur Loudun. La décennie 1630 est aussi marquée par un fléchissement de la monarchie sur ses bases puisque l’absence d’héritier mâle ne cesse de favoriser l’émergence de conflits et de complots. D’une
santé fragile, Louis XIII réchappe de la mort à plusieurs reprises et ses relations difficiles avec la reine nourrissent perpétuellement l’espoir des prétendants au trône.
Finalement, l’affaire des possédées, c’est l’incarnation même de l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques. Ce n’est pas sans rappeler le même type de procédés dans le cadre du tribunal de l’Inquisition qui est – à l’occasion
– utilisé pour servir des intérêts commerciaux. Urbain Grandier subit, ici, manifestement une convergence d’intérêts particuliers qui le conduisent directement au bûcher.
En ligne : http://www.bmlisieux.com/galeries/dictinf/dictinf.htm
Bibliographie :
- Annie ANTOINE, « Ville neuve et géographie des pouvoirs : l’intégration de Richelieu dans le système urbain régional et ses conséquences », dans Vivre en Touraine au XVIIIe siècle, 2003, p. 193-303
- Michel CARMONA, Les Diables de Loudun – Sorcellerie et politique sous Richelieu, Paris, 1988
- Michel CARMONA, Sœur Jeanne des Anges : diabolique ou sainte au temps de Richelieu?, André Versaille éditeur, 2011
- Michel de CERTEAU, « Une mutation culturelle et religieuse : les magistrats devant les sorciers au XVIIe siècle », Revue d’histoire de l’Eglise de France, 1969
- Michel de CERTEAU, La possession de Loudun, 1970
- Carlo GINZBURG, Les Batailles nocturnes, Sorcellerie et rituels agraires aux XVIe et XVIIIe siècles, 1980
- ID., Le Fromage et les vers – L’Univers d’un meunier du XVIe siècle, Paris, 1980
- Thérèse GRIGUER, « Historiographie et médecine : à propos de Jeanne des Anges et de la possession de Loudun », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1992, p. 155-163
- Sophie HOUDARD, « La sorcellerie ou les vertus de la discorde en histoire – Réception et influence de Magistrats et sorciers en France au XVIIe siècle », Les cahiers du Centre de Recherches historiques, 1997
- Sophie HOUDARD, « La possession de Loudun (1632-1637) – Un drame social à l’épreuve de la performance », Communications, n° 92, 2013, p. 37-49
- Robert MANDROU, Magistrats et sorciers au XVIIe siècle, Paris, 1980
- Robert MUCHEMBLED, Sorcières, justice et société au XVIe et XVIIe siècles, 1987
- Hugh R. TREVOR-ROPER, De la Réforme aux Lumières, Paris, 1972
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J-F & Baptiste
Bon anniversaire
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Un grand merci à Gérard Caye pour cette jolie illustration !