User blog: JF VIEL
Une rixe au jeu de paume (1557)
Du XVIe au milieu du XVIIe siècle suivant, le jeu de paume est un sport qui a provoqué un véritable engouement social. Ancêtre de notre tennis, il se jouait avec une raquette tendue de cordes (qui avait progressivement remplacé un battoir de bois) et une balle de cuir garnie d’une bourre de laine, l’esteuf. En ville, la courte paume se jouait dans des salles complètement fermées, d’environ 10 sur 25 mètres, aux murs peints en noir pour faire ressortir l’esteuf, blanchi à la farine.
La consultation d’archives
notariales urbaines du XVIe siècle, comme celles de Paris, révèle une activité
des maîtres esteufiers et des maîtres paumiers-raquettiers particulièrement
intense : les ventes et les baux de salles de jeu de paume y côtoient les
contrats d’association et les contrats d’apprentissage, l'ensemble constituant
une documentation presque aussi volumineuse que celles concernant les activités
de première nécessité, telles que la boulangerie ou la maçonnerie…
Les jeux de paume, lieux de plaisir,
accueillaient également en leurs murs des jeux d’argent plus ou moins licites.
Le terme de tripot, qui qualifiait à l’origine ces salles de sport, a ainsi
progressivement dérivé vers le sens que nous lui connaissons aujourd’hui. Outre
les archives notariales, les jeux de paume ont également beaucoup nourri les
archives judiciaires, de par les rixes et voies de fait qui s’y produisaient
inévitablement.
En voici un exemple en 1557 : deux Parisiens se querellent au jeu de paume du Cheval blanc, situé place Maubert, ce qui a pour effet que l’un d’eux est atteint à « la mamelle du costé senestre » d’un coup de dague. Le Châtelet de Paris est aussitôt saisi, un commissaire est nommé pour mener l’information, et l’agresseur est jeté en prison. Finalement, pour mettre un terme à une procédure criminelle risquant de s’éterniser et éviter d’importants frais de justice aux deux parties, celles-ci décident de transiger devant deux notaires parisiens : moyennant le paiement à l’agressé de la coquette somme de 60 écus d’or soleil, l’agresseur sera élargi (c’est-à-dire libéré) de prison, et les information et procès criminel seront considérés « nulz comme chose non faicte ne advenue ». Cette façon de mettre un terme à une procédure judiciaire par une transaction notariée était très fréquente sous l’Ancien Régime.
demourant à Paris, place Maubert, confesse avoir quicté et quicte par ces
presentes du tous dès mainctenant à tousjours sans rappel, maistre Philippes
GENTIL, à present prisonnier ès prisons episcopalles de l'evesché de
Paris, absent, ses biens, ses hoirs etc. tant de tous et chascuns
les interest civil, despens, dommages et interestz qu'il a euz et souffertz
et pourroit cy après avoir et souffrir, pour raison d'un coup de
dague que ledict DU GOGUIER disoit et maintenoit luy avoir esté baillé
depuis certain temps en ça à la mamelle du costé senestre, eulx estans
jouans à la paulme ou jeu de paulme du Cheval blanc, dicte place
Maubert. Et pour raison de quoy ledict DU GOGUIER auroit faict
informer par le commissaire MARTIN et, sur icelle information, obtenu
prinse de corps, et en ce faisant constitué prisonnier ès prisons
du Chastellet de Paris. Desquelles ledict GENTIL, suivant son
requisitoire, auroit esté renvoié prisonnier esdictes prisons dudict
evesché de Paris, où il est comme dict est de present. Laquelle
information partant et procès criminel et autres contre ledict GENTIL faictz
sont et demourent nulz comme chose non faicte ne advenue,
que de toutes autres choses generallement quelzconques
dont ledict DU GOGUIER luy eust peu faire demande, action et poursuitte
de tout le temps passé jusques à huy, dacte de ces presentes.
Ceste quictance generalle ainsi faicte tant moyennant
la somme de soixante escuz d'or soleil que pour ce ledict
DU GOGUIER en confesse avoir eue et receue dudict GENTIL,
dont etc. quictant etc., que aussi que ledict DU GOGUYER
sera et demourera quicte envers ledict GENTIL de toutes
choses quelzconques jusques à cedict jour. Et en ce faisant,
ledict DU GOGUIER consent et accorde par ces presentes, en
tant que à luy est, ledict GENTIL estre mis hors desdictes
prisons à pur et à plain. Et demeurent tous procès qu'ilz avoient
entre eulx pour raison de ce nulz et assopiz, sans aucuns
autres despens, dommages ne interestz, et à la charge que
chacun d'eulx paiera son procureur et conseil. Promectant etc. Obligeant etc. Renonceant etc. Faict et
passé l'an mil VC cinquante sept, le mardi neufiesme jour de
novembre. »
Ainsi signé : K. FARDEAU, notaire, avec paraphe / T. PERIER, notaire, avec paraphe.
Arch. nat., Minutier central, XI-37,
9 novembre 1557.
Illustration : Bibliothèque municipale de Rouen,
Leber 6116-2-167.
Le 8 avril 1551, Pierre de Cantiers et son épouse Adrienne des Haies, tous deux nobles, mariés depuis douze à treize ans et vivant à Sainefontaine[1], près de Beauvais, se présentent en l’étude d’un notaire de Rouen[2]. Le mari y expose ne plus pouvoir tolérer les mœurs (comprendre la nature, le caractère)[3] de sa femme. Les descordz[4] et contemptions[5] qui sont entre eux les empêchent de bonnement vivre en paix ensemble en tranquillité de leur conscience, à tel point qu’ils ont un temps envisagé un divorce. Sous l’Ancien Régime, le divorce (divortium) était une procédure portée devant l’official, juge ecclésiastique rendant la justice au nom de l’évêque. Lorsqu’il était accordé, ce divorce actait une séparation de corps des époux, mais rendait impossible tout remariage de l’une ou de l’autre des parties, le lien sacré du mariage restant indissoluble.
Nos époux, voulant éviter une telle procédure qu’ils jugent scandaleuse, ont alors l’idée, sur les conseils de leurs amis, d’organiser leur séparation de corps dans l’intimité de l’étude d’un notaire rouennais. La convention est initialement dressée de façon anonyme, le mari y étant désigné par la seule lettre P. (comme Pierre) et la femme par la seule lettre A. (comme Adrienne) ; les précisions sur l’identité des époux ne seront ajoutées – en interligne – qu’au moment de la signature du document.
Il est convenu que l’épouse ira habiter en la maison d’un sien parent de Rouen, François de Ponches, sieur du Mesnil-Vasse. Pour lui permettre de vivre honnestement, tant pour ses allymentz, vestementz que aultres ses necessités, son mari s’engage à lui verser une rente annuelle de 80 livres tournois – à savoir 20 livres à Pâques, à la Saint-Jean, à la Saint-Michel et à Noël – tant qu'elle sera demeurante hors d'avecq luy. Le couple n’ayant aucun enfant, la séparation de corps est simple à mettre en œuvre et n’occasionne aucune autre disposition.
Cette convention, signée d’une main ferme par Pierre de Cantiers et Adrienne des Haies, est par la suite confirmée comme raisonnable et de justice par les consuls de Rouen, ce qui semble indiquer que les époux, bien que nobles, avaient des intérêts commerciaux dans la région. En ce même 8 avril 1551, Adrienne des Haies donne procuration à son mari pour vendre une maison appartenant audit Cantiers, sise en la paroisse Sainte-Marguerite de Beauvais, de façon à constituer le capital de la rente.
Les séparations de corps réglées devant notaire pour incompatibilité d’humeur sont rarissimes. On en trouve encore quelques exemples au XVIIe siècle, puis ces actes semblent disparaître purement et simplement de la pratique notariale. Une étude exclusivement consacrée à cette question serait passionnante !
__________[1] Sainefontaine, hameau dépendant de Bulles (60130).
[2] Arch. dép. de Seine-Maritime, 2E1/863, 8 avril 1551. En ligne : vues 52 à 56/891
[3] Sur la minute, le mot mœurs a remplacé complections (complexions, c’est-à-dire caractère, tempérament), qui a été biffé.
[4] Désaccords, différends.
[5] Mépris.
Sur le plan paléographique, l’écriture est clairement cursive, démontrant au passage la virtuosité du clerc. Les abréviations (par contraction, suspension, notes tironiennes, signes spéciaux et lettres spéciales) sont assez nombreuses et parfois très sévères. Voir par exemple l’abréviation du verbe pretendre, à l’avant-dernière ligne de la première page de la procuration du 8 avril 1551 :
p(re)t(en)d(re)
Comme souvent, la cursivité de l’écriture augmente à mesure qu’on s’approche de la fin de l’acte, les formules terminales n’étant d’ailleurs plus que suggérées... Les nombreuses ratures, ajouts en interligne et en marge sont caractéristiques des minutes notariales de la moitié nord de la France, au milieu du XVIe siècle.
Convention du 8 avril 1551 : transcription
Par souci de lisibilité, le texte a ici été restitué sous sa forme définitive, les passages biffés ayant été supprimés et les ajouts en interligne et en marge ayant été replacés dans le corps du texte.
Convention du 8 avril 1551 - Page 1
« Du mercredi huictiesme jour d'avril
mil Vc cinquante et ung, aprez Pasques.
« Comme depuys le mariage celebré en face de Saincte
Eglise d'entre noble homme Pierre de Cantiers, seigneur du lieu, demourant
à Senefontayne prez Beauvays, et damoiselle Adrianne Deshaies
puys douze à traize ans ou environ,
constant lequel mariage lesdictz
mariez aient eu quelques descordz et
contemptions entre eulx, tellement qu'ilz n'ont
peu bonnement vivre en paix ensemble en
tranquillité de leur conscience. Et pour
ce auroient esté en termes de aager[1] l'un vers
l'aultre en divorse, mesmement de la part dudict
de Quantiers pour ce qu'il disoit ne pouvoir tollerer
les moeurs de ladicte damoiselle, toutesfois
en fin, pour eviter tout scandalle, aient
par le conseil de leurs amys cherché
moyens de concorder entre
eulx au myeulx qu'il leur seroit possible.
Sçavoir faisons etc. pardevant
etc. furent presens lesdictz de Cantiers et ladicte damoiselle
Adrienne Deshaies, lesquelz de leurs bon gré et voluntez
etc. confesserent avoir faict accord entre
eulx, par lequel ladicte damoiselle,
du consentement dudict seigneur de Cantiers, son mary, et par luy
bien auctorisée quant à ce, a accordé
soy retirer en la maison de noble homme
Françoys de Ponches, seigneur du Mesnil Vasse,
et en icelle faire sa demeure et residence
_____
[1] Agir.
Convention du 8 avril 1551 - Page 2
jusques à ce que lesdictes parties puissent, aydant
la grace de Dieu, estre
reconsiliez ensemble. Et affin que ladicte
damoiselle ait occasion et moyen de
vivre honnestement et se contenter dudict son
mary, icelluy de Cantiers, son mary, a promys
et s'est obligé payer par voye d’execution à ladicte damoiselle
la somme de quatre vingtz livres tournois par chacun an, payable
aux quatre termes de l'an accoustumez,
assavoir Pasques, Sainct Jehan, Sainct
Michel et Noel, et le tout rendu
à ses despens en la maison dudict de Ponches,
[renvoi en marge : premier paiement commenceant à Pasques dernière passée et ainsi contynuer de terme en terme].
Laquelle somme de quatre vingtz livres tournois ladicte damoiselle
s'est contentée tant pour ses allymentz,
vestementz que aultres ses necessités,
et a promys ne demander audict son mary
aultre chose pour le temps qu'elle sera
demeurante hors d'avecq luy. Et si
a promys durant ledict temps demeurer
en ladicte maison dudict de Ponches ou
aultre lieu honneste par
desliberation desdictz de Ponches du Mesnil Vasse et de Cantiers. Promectans lesdictes
parties tenir les choses dessusdictes soubz
l'obligation de tous leurs biens et heritages.
Presens Nicolas Massieu, marchant, demeurant en la paroisse St Maclou
de Rouen, et Adam Bihorel, hostellier, demeurant en la paroisse
St Vigor dudict Rouen. »
Ainsi signé : P. de Cantiers
Adrianne des Haies.
Convention du 8 avril 1551 - Page 3
« Semble aux conseulx soubz signez ausquelz
a esté communiqué la minutte cy dessus que
icelle est raisonnable et que l'accord y
mentionné par les termes qu'il est, est de
justice. »
Ainsi signé : Colombel, avec paraphe / Lambert, avec paraphe.
Procuration du 8 avril 1551 : transcription
Procuration du 8 avril 1551 - Page 1
« Du mercredi huictiesme jour d'avril, après
Pasques Vc LI.
« Fut presente damoiselle Adrienne Deshayes, femme
de noble homme Pierre de Cantiers, seigneur du lieu, demeurant
à Sene Fontaine près Beauvais, laquelle après qu'elle
eult esté deuement auctorisée par ledict seigneur son mary, present
quant à ce, de son bon gré constitua son procureur general
et especial, c'est assavoir ledict sieur de Cantiers, son mary,
en tout le faict et stille de plaidarye, et par especial
ladicte constituante a donné et donne par sesdictes presentes, en tant
que à elle est et que le cas luy peult toucher,
plain pouvoir, puissance et auctorité audict seigneur de Cantiers,
son mary, portant icelles, de pour elle et en son
nom vendre, transporter, fieffer, eschanger et
aultrement aliener une maison et
heritage audict seigneur de Cantiers appartenant,
assise en la parroisse de Saincte Marguerite en
la ville de Beauvais, à telle
personne ou personnes et par tel prix, charges
conditions et moiens que ledict seigneur de Cantiers,
son mary, verra bien estre, recevoir les
deniers provenans de ladicte vendue et en faire telle
quictance que icelluy seigneur de Cantiers verra
bien estre, et mesmes de
pour elle et en son nom renoncer
à tout et tel droict de douaire, asignation de
mariage ou aultre droict heredital qu'elle pourroit
avoir, pretendre et demander sur ladicte
maison dessus declarée et d'en passer
Procuration du 8 avril 1551 - Page 2
telles lectres de vendue, fieffe et eschange et renonciation que
mestier serra et au cas appartiendra. Et generallement etc.
promectans tenir etc. obligeans biens etc.
Presens Nicolas Massieu et Adam Bihorel. »
Ainsi signé : P. de Cantiers
Adriane des Haies. »
Bibliographie
- David BASTIDE, "La survivance des coutumes dans la jurisprudence du XIXe siècle (1800-1830) - Autour de la femme, de la dot et du douaire normands", Annales de Normandie, n° 56, 2006, p. 395-414 (http://www.persee.fr/doc/annor_0003-4134_2006_num_56_3_1586)
- Adrien Jean Quentin BEUCHOT, Oeuvres de Voltaire - Avec préfaces, avertissements, notes, etc., vol. 28, Paris, chez Lefèvre, 1829, article "divorce", p. 436-439
- Sylvain BLOQUET, “Le mariage, un contrat perpétuel par sa destination (Portalis)”, Napoleonica. La Revue, 2012/2, n°14, p. 74-110
- Jean-Louis HALPERIN, "Les fondements historiques des droits de la famille en Europe - La lente évolution vers l'égalité", Informations sociales, n° 129, 2006, p. 44-55 (https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2006-1-page-44.htm)
- François LEBRUN, La vie conjugale sous l’Ancien Régime, Paris (Armand Colin), 1985
- Stéphane MINVIELLE, La famille en France à l’époque moderne, Paris (Armand Colin), 2010
- Roderick G. PHILLIPS, "Le divorce en France à la fin du XVIIIe siècle", Annales, n° 34, 1979, p. 385-398
Voici un document intéressant sur le plan généalogique : il s'agit d'arbres généalogiques qui explicitent la triple "parenté qui est entre le Roy et madame sa seur, avec le prince et l'infante d'Espagne". Le Roi est Louis XIII et sa sœur Élisabeth de France ; l'infant d'Espagne est le futur Philippe IV (qui n'a alors que 10 ans !) et l'infante sa sœur Anne d'Autriche.
Comme on le sait, une double alliance unira les deux familles, Louis XIII épousant Anne d'Autriche (28 novembre 1615 à Bordeaux) et Élisabeth de France épousant le futur Philippe IV (25 novembre 1615 à Bordeaux). Ces tableaux ont été réalisés à Poitiers en septembre 1615, préalablement au double mariage.
On y relève les liens de parenté tels qu'ils étaient comptés par le droit canon. Ce qui est très utile aux généalogistes.
Bibliothèque nationale de France, manuscrit français 6392.
Bibliographie :
Transcription :
Renvois en marge :