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Le 8 avril 1551, Pierre de Cantiers et son épouse Adrienne des Haies, tous deux nobles, mariés depuis douze à treize ans et vivant à Sainefontaine[1], près de Beauvais, se présentent en l’étude d’un notaire de Rouen[2]. Le mari y expose ne plus pouvoir tolérer les mœurs (comprendre la nature, le caractère)[3] de sa femme. Les descordz[4] et contemptions[5] qui sont entre eux les empêchent de bonnement vivre en paix ensemble en tranquillité de leur conscience, à tel point qu’ils ont un temps envisagé un divorce. Sous l’Ancien Régime, le divorce (divortium) était une procédure portée devant l’official, juge ecclésiastique rendant la justice au nom de l’évêque. Lorsqu’il était accordé, ce divorce actait une séparation de corps des époux, mais rendait impossible tout remariage de l’une ou de l’autre des parties, le lien sacré du mariage restant indissoluble.
Nos époux, voulant éviter une telle procédure qu’ils jugent scandaleuse, ont alors l’idée, sur les conseils de leurs amis, d’organiser leur séparation de corps dans l’intimité de l’étude d’un notaire rouennais. La convention est initialement dressée de façon anonyme, le mari y étant désigné par la seule lettre P. (comme Pierre) et la femme par la seule lettre A. (comme Adrienne) ; les précisions sur l’identité des époux ne seront ajoutées – en interligne – qu’au moment de la signature du document.
Il est convenu que l’épouse ira habiter en la maison d’un sien parent de Rouen, François de Ponches, sieur du Mesnil-Vasse. Pour lui permettre de vivre honnestement, tant pour ses allymentz, vestementz que aultres ses necessités, son mari s’engage à lui verser une rente annuelle de 80 livres tournois – à savoir 20 livres à Pâques, à la Saint-Jean, à la Saint-Michel et à Noël – tant qu'elle sera demeurante hors d'avecq luy. Le couple n’ayant aucun enfant, la séparation de corps est simple à mettre en œuvre et n’occasionne aucune autre disposition.
Cette convention, signée d’une main ferme par Pierre de Cantiers et Adrienne des Haies, est par la suite confirmée comme raisonnable et de justice par les consuls de Rouen, ce qui semble indiquer que les époux, bien que nobles, avaient des intérêts commerciaux dans la région. En ce même 8 avril 1551, Adrienne des Haies donne procuration à son mari pour vendre une maison appartenant audit Cantiers, sise en la paroisse Sainte-Marguerite de Beauvais, de façon à constituer le capital de la rente.
Les séparations de corps réglées devant notaire pour incompatibilité d’humeur sont rarissimes. On en trouve encore quelques exemples au XVIIe siècle, puis ces actes semblent disparaître purement et simplement de la pratique notariale. Une étude exclusivement consacrée à cette question serait passionnante !
__________[1] Sainefontaine, hameau dépendant de Bulles (60130).
[2] Arch. dép. de Seine-Maritime, 2E1/863, 8 avril 1551. En ligne : vues 52 à 56/891
[3] Sur la minute, le mot mœurs a remplacé complections (complexions, c’est-à-dire caractère, tempérament), qui a été biffé.
[4] Désaccords, différends.
[5] Mépris.
Sur le plan paléographique, l’écriture est clairement cursive, démontrant au passage la virtuosité du clerc. Les abréviations (par contraction, suspension, notes tironiennes, signes spéciaux et lettres spéciales) sont assez nombreuses et parfois très sévères. Voir par exemple l’abréviation du verbe pretendre, à l’avant-dernière ligne de la première page de la procuration du 8 avril 1551 :
p(re)t(en)d(re)
Comme souvent, la cursivité de l’écriture augmente à mesure qu’on s’approche de la fin de l’acte, les formules terminales n’étant d’ailleurs plus que suggérées... Les nombreuses ratures, ajouts en interligne et en marge sont caractéristiques des minutes notariales de la moitié nord de la France, au milieu du XVIe siècle.
Convention du 8 avril 1551 : transcription
Par souci de lisibilité, le texte a ici été restitué sous sa forme définitive, les passages biffés ayant été supprimés et les ajouts en interligne et en marge ayant été replacés dans le corps du texte.
Convention du 8 avril 1551 - Page 1
« Du mercredi huictiesme jour d'avril
mil Vc cinquante et ung, aprez Pasques.
« Comme depuys le mariage celebré en face de Saincte
Eglise d'entre noble homme Pierre de Cantiers, seigneur du lieu, demourant
à Senefontayne prez Beauvays, et damoiselle Adrianne Deshaies
puys douze à traize ans ou environ,
constant lequel mariage lesdictz
mariez aient eu quelques descordz et
contemptions entre eulx, tellement qu'ilz n'ont
peu bonnement vivre en paix ensemble en
tranquillité de leur conscience. Et pour
ce auroient esté en termes de aager[1] l'un vers
l'aultre en divorse, mesmement de la part dudict
de Quantiers pour ce qu'il disoit ne pouvoir tollerer
les moeurs de ladicte damoiselle, toutesfois
en fin, pour eviter tout scandalle, aient
par le conseil de leurs amys cherché
moyens de concorder entre
eulx au myeulx qu'il leur seroit possible.
Sçavoir faisons etc. pardevant
etc. furent presens lesdictz de Cantiers et ladicte damoiselle
Adrienne Deshaies, lesquelz de leurs bon gré et voluntez
etc. confesserent avoir faict accord entre
eulx, par lequel ladicte damoiselle,
du consentement dudict seigneur de Cantiers, son mary, et par luy
bien auctorisée quant à ce, a accordé
soy retirer en la maison de noble homme
Françoys de Ponches, seigneur du Mesnil Vasse,
et en icelle faire sa demeure et residence
_____
[1] Agir.
Convention du 8 avril 1551 - Page 2
jusques à ce que lesdictes parties puissent, aydant
la grace de Dieu, estre
reconsiliez ensemble. Et affin que ladicte
damoiselle ait occasion et moyen de
vivre honnestement et se contenter dudict son
mary, icelluy de Cantiers, son mary, a promys
et s'est obligé payer par voye d’execution à ladicte damoiselle
la somme de quatre vingtz livres tournois par chacun an, payable
aux quatre termes de l'an accoustumez,
assavoir Pasques, Sainct Jehan, Sainct
Michel et Noel, et le tout rendu
à ses despens en la maison dudict de Ponches,
[renvoi en marge : premier paiement commenceant à Pasques dernière passée et ainsi contynuer de terme en terme].
Laquelle somme de quatre vingtz livres tournois ladicte damoiselle
s'est contentée tant pour ses allymentz,
vestementz que aultres ses necessités,
et a promys ne demander audict son mary
aultre chose pour le temps qu'elle sera
demeurante hors d'avecq luy. Et si
a promys durant ledict temps demeurer
en ladicte maison dudict de Ponches ou
aultre lieu honneste par
desliberation desdictz de Ponches du Mesnil Vasse et de Cantiers. Promectans lesdictes
parties tenir les choses dessusdictes soubz
l'obligation de tous leurs biens et heritages.
Presens Nicolas Massieu, marchant, demeurant en la paroisse St Maclou
de Rouen, et Adam Bihorel, hostellier, demeurant en la paroisse
St Vigor dudict Rouen. »
Ainsi signé : P. de Cantiers
Adrianne des Haies.
Convention du 8 avril 1551 - Page 3
« Semble aux conseulx soubz signez ausquelz
a esté communiqué la minutte cy dessus que
icelle est raisonnable et que l'accord y
mentionné par les termes qu'il est, est de
justice. »
Ainsi signé : Colombel, avec paraphe / Lambert, avec paraphe.
Procuration du 8 avril 1551 : transcription
Procuration du 8 avril 1551 - Page 1
« Du mercredi huictiesme jour d'avril, après
Pasques Vc LI.
« Fut presente damoiselle Adrienne Deshayes, femme
de noble homme Pierre de Cantiers, seigneur du lieu, demeurant
à Sene Fontaine près Beauvais, laquelle après qu'elle
eult esté deuement auctorisée par ledict seigneur son mary, present
quant à ce, de son bon gré constitua son procureur general
et especial, c'est assavoir ledict sieur de Cantiers, son mary,
en tout le faict et stille de plaidarye, et par especial
ladicte constituante a donné et donne par sesdictes presentes, en tant
que à elle est et que le cas luy peult toucher,
plain pouvoir, puissance et auctorité audict seigneur de Cantiers,
son mary, portant icelles, de pour elle et en son
nom vendre, transporter, fieffer, eschanger et
aultrement aliener une maison et
heritage audict seigneur de Cantiers appartenant,
assise en la parroisse de Saincte Marguerite en
la ville de Beauvais, à telle
personne ou personnes et par tel prix, charges
conditions et moiens que ledict seigneur de Cantiers,
son mary, verra bien estre, recevoir les
deniers provenans de ladicte vendue et en faire telle
quictance que icelluy seigneur de Cantiers verra
bien estre, et mesmes de
pour elle et en son nom renoncer
à tout et tel droict de douaire, asignation de
mariage ou aultre droict heredital qu'elle pourroit
avoir, pretendre et demander sur ladicte
maison dessus declarée et d'en passer
Procuration du 8 avril 1551 - Page 2
telles lectres de vendue, fieffe et eschange et renonciation que
mestier serra et au cas appartiendra. Et generallement etc.
promectans tenir etc. obligeans biens etc.
Presens Nicolas Massieu et Adam Bihorel. »
Ainsi signé : P. de Cantiers
Adriane des Haies. »
Bibliographie
- David BASTIDE, "La survivance des coutumes dans la jurisprudence du XIXe siècle (1800-1830) - Autour de la femme, de la dot et du douaire normands", Annales de Normandie, n° 56, 2006, p. 395-414 (http://www.persee.fr/doc/annor_0003-4134_2006_num_56_3_1586)
- Adrien Jean Quentin BEUCHOT, Oeuvres de Voltaire - Avec préfaces, avertissements, notes, etc., vol. 28, Paris, chez Lefèvre, 1829, article "divorce", p. 436-439
- Sylvain BLOQUET, “Le mariage, un contrat perpétuel par sa destination (Portalis)”, Napoleonica. La Revue, 2012/2, n°14, p. 74-110
- Jean-Louis HALPERIN, "Les fondements historiques des droits de la famille en Europe - La lente évolution vers l'égalité", Informations sociales, n° 129, 2006, p. 44-55 (https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2006-1-page-44.htm)
- François LEBRUN, La vie conjugale sous l’Ancien Régime, Paris (Armand Colin), 1985
- Stéphane MINVIELLE, La famille en France à l’époque moderne, Paris (Armand Colin), 2010
- Roderick G. PHILLIPS, "Le divorce en France à la fin du XVIIIe siècle", Annales, n° 34, 1979, p. 385-398
« Question de Mariage
Arrest du 14e janvier 1616, donné pour le sieur Gargueselle contre les nommés Malherbe. Plaidans Aleaume, Du Theil et d'Ambry.
Ledict de Gargueseilles avoit longtemps entretenu une femme, fille d'un paysan, qu'on disoit estre publique, et d'icelle avoit eu 10 à 12 enfans, et desirant l'espouser pour legitimer lesdicts enfans. Les parens l'avoient empesché pour deux raisons : l'une pour l'inégalité et prodigalité dudict Garsailles, l'autre pour ce que ladicte femme estoit tombée en demence. »
La procédure qui nous intéresse aujourd’hui est riche et complexe. Afin de fixer le décor en deux mots : un couple vit en concubinage durant une bonne dizaine d’années. Ce couple illégitime est parfaitement toléré par la famille jusqu’à la demande
en mariage.
Les parents multiplient alors les accusations et tentent de s’opposer autant que possible aux épousailles. Portée en justice, ce sont les médecins qui tranchent dans cette affaire de mœurs.
Acquis
en 1895 par les Archives Départementales de Seine-Maritime, ce manuscrit composé de 216 folios - sans compter les annexes et l’index - n’a attiré l’attention des historiens qu’à la marge. Issu d’un Recueil d’arrêts du Parlement,
ce document renvoie à une tradition apparue à la fin du Moyen Âge. D’une écriture fluide, on peut envisager une étude d’ensemble ou de cas, comme en témoigne cette affaire croustillante et d’un intérêt juridique certain.
Plus riche et dense
qu’un aride registre du Parlement, cette oeuvre permet de cerner l’outillage juridique de l’époque moderne. Intitulée “question de mariage”, l’affaire touche directement les pratiques privées du XVIIe siècle. Ainsi, le Parlement de Normandie doit trancher quant à une procédure de contestation de mariage. Les
parents d’un homme s’opposent à la publication de bancs de l’union envisagée avec une fille de paysan. Le fait de porter une affaire en justice n’a rien d’inhabituel.
Depuis 1556, les parlements de France et l’État s’emparent de la question
sociale du mariage en prononçant l’illégalité des mariages secrets, c’est-à-dire les mariages contractés par un couple, et ce, sans le consentement parental. La même année, paraît un autre édit qui vise un “grave et détestable” crime de femme
: la grossesse et l’enfantement clandestin. De plus, entre 1556 et 1639, une série d’édits se consacrent à la notion de consentement parental, à la publicité du mariage et introduit des sanctions contre les contrevenants.
À travers les affaires
portées au Parlement, on peut constater de manière sensible de quelle manière l’État tente de gouverner la vie des individus et, en particulier, celles de femmes. Cette affaire rouennaise, montre à quel point le droit ecclésiastique s’oppose à
la loi civile. Les tribunaux religieux tendent à considérer que le consentement du couple prime sur la célébration officielle.
Dans le cas qui nous intéresse ici, les jeunes gens ont vécu “longtemps” en concubinage avec
une cohabitation librement choisie et la naissance d’enfants illégitimes. Ces pratiques sont tolérées et les fiançailles sur le tard possibles. Toutefois, l’affaire prend une autre dimension, dès lors que le mariage est réclamé. En d’autres termes,
les déviances sexuelles sont acceptées socialement, du moment qu’elles restent dans la sphère privée et n’atteignent pas irrémédiablement l’honneur familial. À tel point que l’époux, “tant qu’il n’avoit parlé d’espouser cette femme”, “avoit esté
estimé très sage et bon mesnager par ses parens”. Or, la procédure judiciaire engagée est grave et de conséquences.
Si le mariage est invalidé, l’époux risque une peine d’incarcération assez courte, alors que la jeune femme peut être condamnée
à dix ou quinze ans d’enfermement, voire à une peine de réclusion à vie dans un couvent. Afin de mettre toutes les chances de leur côté, les parents accusent l’époux de dépenses excessives et de vie dissolue. On jète également l’opprobre sur la
jeune femme que l’on juge “impudique” et “qu’on disoit estre publique”, ce qui revient à une accusation de prostitution.
Du côté des juges, les références antiques fusent pour démontrer que les enfants issus d’un couple “lubrique” et d’une
“putain” ne peuvent être que “poltrons et pusillanimes”. Afin de prolonger l’analyse, d’autres magistrats considèrent que l’argument est valide puisque les Gaulois “estoient vaillans pour l’honnesteté et chasteté de leurs peres ès mariage”. L’affaire
semble mal engagée d’un point de vue juridique, mais c’est sans compter sur l’intervention des médecins.
Selon Sophie Astier, Les Experts et autres fictions nous ont habitués à considérer l’expertise médico-légale
comme un point central de toute enquête policière. Or, cette intervention des scientifiques dans le champ du droit est apparue progressivement dans les procédures et ce n’est pas un fait nouveau.
S’il faut attendre le siècle des Lumières pour
que la médecine légale se constitue véritablement en tant que science, dans cette affaire de 1616, ce sont bien les médecins qui emportent le jugement :
"... or, les medecins assurent qu'une femme furieuse ne peut concevoir. La Cour a permis audict de Garsailles et à ladicte femme celebrer ledict mariage..."
Les scientifiques répondent à un enchaînement de questions posées par le procureur général. Suivez la réflexion intellectuelle :
1) le consentement au mariage a-t-il eu lieu avant ou après que la femme soit devenue folle
?
2) si elle était déjà folle, un nouveau consentement est-il nécessaire ?
3) il n’y a pas de preuve de la folie de cette femme, ce point est donc discuté en droit.
4) intervention des médecins qui
assurent que la femme ne peut être folle dans le cas présent puisqu’elle “avoit eu un enfant depuis peu”.
Le lien entre enfantement et folie est ancien. Les médecins du XVIIe siècle repèrent dans l’Antiquité
les premières descriptions de femmes “furieuses” et la psychanalyse trouve dans certains mythes l’origine d’une ambivalence ancestrale de la maternité. La science médicale fait alors largement référence aux médecins grecs
(Hippocrate, Galien), latins (Soranos d’Ephese) et médiévaux (Avicenne) que l’on interprète. Encore au XVIIe siècle, la théorie dominante est celle d’une approche humorale de la maladie. Toutefois, si les déséquilibres
des humeurs sont scrutés avec attention, on ne peut réduire la médecine de l’époque moderne au seul héritage.
La distinction entre l’esprit de la mère et de la femme repose donc sur la perception de
l’accouchement et de l’allaitement, comme des phénomènes étranges. Pour la médecine des humeurs, la circulation et l’évacuation des fluides sont considérés comme nécessaires à la santé des hommes et des femmes. Par la maternité,
de fait, on considère que la mère régule ses humeurs et ne peut être atteinte de folie.
Finalement, ce dernier élément emporte les voix d’une majorité de magistrats qui accordent le mariage et permet la légitimation
des enfants issus de la relation illégitime entre les deux jeunes gens qui échappent à toute condamnation. De plus, l’affaire dépasse le cadre du couple et est importante pour l’ensemble de la famille puisque les “10 à
12 enfants” peuvent, une fois reconnus, prétendre à l’héritage. Enfin, avec ce cas spécifique, on devine parfaitement le conflit d’intérêt des parents que soulève Jacques Poërier en commentant cet arrêt du Parlement.
Issu
d’une famille de la Manche, fils d’un contrôleur des Aides de Valognes, ayant commencé sa carrière en dehors du Parlement, ce président à mortier montre une réelle volonté de transmission de ses connaissances juridiques
à sa descendance. Par cette démarche, le magistrat se fait arrestographe et ne se limite pas à de simples copies d’arrêts de la cour de souveraine dans laquelle il officie au quotidien. Il les adapte, il trie, il fait des
choix et donne son avis juridique dans un écrit, strictement personnel qui n’a pas vocation à être publié. En somme, Jacques Poërier ne retient pas cet arrêt par voyeurisme mais pour sa valeur d’apprentissage.
Baptiste ETIENNE
Références :
- AD S-M, 28 F 62, « Recueil d’arrests donnés au Parlement de Normandie », par Jacques Poërier d’Amfreville, f° 41 et 42
- Francesca Arena, « La folie des mères », Rives méditerranéennes, Varia,
15 juin 2009 (http://journals.openedition.org/rives/2713)
- Sophie Astier, “Sherlock médecin : petite histoire de la médecine légale à l’époque moderne”, 6 mars 2015 (https://tresoramu.hypotheses.org/167)
- Fayçal El Ghoul, « Enfermer et interdire les fous à Paris au XVIIIe siècle : une forme d’exclusion ? », Cahiers de la Méditerranée, n°
69, 2004 (http://journals.openedition.org/cdlm/796)
- Bruno Lemesle (dir.), La Preuve en justice de l'Antiquité à nos jours, Rennes
: Presses universitaires de Rennes, 2003 (https://books.openedition.org/pur/15825)
- Hélène Ménard et Marc Renneville, « Folie et justice, de l’Antiquité à l’époque contemporaine », Criminocorpus, 5
février 2016 (http://journals.openedition.org/criminocorpus/3144)
- Alessandro Pastore, « Médecine et droit,
compétition ou collaboration ? », Histoire, médecine et santé, n° 11, 2017 (http://journals.openedition.org/hms/1077)
- Diane Roussel, « La description des violences féminines dans les archives criminelles au XVIe siècle », Tracés. Revue de Sciences humaines,n°
19, 2010 (http://journals.openedition.org/traces/4892)
Quoi de plus normal que l’établissement d’un traité de mariage en janvier 1636. Celui-ci uni Jean Perdrix et Catherine Allais. Tous deux sont issus du même milieu social puisque le père de Jean était procureur au bailliage et siège présidial de Rouen alors que Catherine est fille d’un procureur au Parlement et son beau-père est avocat de la même cour souveraine. Exemple type de l’homogamie sociale, le frère de la mariée apporte 1 000 livres pour don mobile et 50 livres pour les épousailles, et ce, sans compter la mise en place d’une rente de 35 livres. En Normandie, ce don est un avantage que la femme accorde ordinairement à son mari sur sa dot. De ce mariage, somme toute classique, naissent deux enfants.
Or, à partir de 1647, Catherine Allais engage une procédure de divorce et celle-ci mettra cinq années à aboutir. Cette démarche est donc longue et semée d’embûches.
Correspondant dans les faits à une séparation de biens et de corps qui n’est entérinée au bailliage que le 20 avril 1652. Il s’agit alors de prendre acte des lettres royaux obtenues devant la chancellerie dès le mois de janvier, de l’inventaire des biens meubles du couple du mois de septembre précédent et de l’ensemble des actes d’une procédure complexe. La fin du jugement entraîne l’enregistrement de Catherine Allais au tableau du tabellionage, ce qui lui offre, par la même, la possibilité de passer des actes sans l’autorisation de son époux.
Que s’est-il passé depuis le mariage ? Jean Perdrix n’a pas choisi la voie des offices mais est devenu teinturier en soie. Cette activité oblige le couple à s’installer sur L’Eau de Robec, au cœur de la paroisse populeuse de Saint-Vivien, largement tournée vers le textile.
Or, depuis quelques temps, Jean et Catherine sont tombés malades. Le maître teinturier est “paraliticque”, alors que Catherine est “grandem(en)t incommodée en sa santé (et) des executions rigoureuse faictes en leurs biens”. Et pour cause, les propriétaires et les créanciers tombent sur le couple à bras raccourcis et c’est sans compter sur les chirurgiens qui réclament près de 200 livres. Dès le mois de février 1652, la séparation civile (mais pas encore de corps) obtenue, Catherine empreinte 94 livres à un marchand afin de subvenir à ses besoins pressants. Afin d’apitoyer les juges, cette femmes met en avant que, lors du mariage, elle a apporté “bonne et grosse valleur”. Elle accuse son mari de “mauvais mesnage” puisqu’il aurait “dissipéz” l’ensemble des biens du couple. De même, elle demande la séparation de bien en considérant qu’elle “seroit en voye de tomber en pauvreter et mandicité”. L’argument est sans doute exagéré, mais a le mérite de souligner une situation financière précaire. Par ailleurs, c’est un point central de la Coutume normande dont la maxime est "bien de la femme ne peut se perdre" (art. 539 et 540). En somme, comme partout ailleurs, le régime matrimonial normand peut se résumer en quelques mots : la femme apporte une dot, mais le mari n'a que l'administration et la jouissance des biens durant le mariage. Les immeubles apportés par la femme sont en principe inaliénables.
Enfin, Catherine Allais insiste sur l’inaptitude du mari, alors en “incapacité de gaigner sa vye” et sur leur dépossession matérielle puisqu’ils n’ont plus de meubles dans la maison... tous saisis en raison de leurs dettes.
Contrairement à une idée reçue, le divorce existe en France avant même la Révolution française. Le terme apparaît même en toutes lettres dans les documents de séparation de ce couple. Déjà en vigueur à Rome durant l’Antiquité (par répudiation ou par consentement mutuel), le divorce est finalement interdit en 1563 par le Concile de Trente en raison de l’indissolubilité du mariage prônée par l’Église. Or, en 1694, le Dictionnaire de l’Académie française considère encore qu’il s’agit bien là d’une “rupture de mariage”. A la fois usité pour de simples dissensions de couples, ce terme est d’usage pour les séparations de “corps & de biens”. Selon la Coutume normande et dans les faits, cette séparation n’intervient que dans des cas rares d’inconduite ou de violence mais, ici, il s’agit essentiellement pour la femme de se désolidariser financièrement de l’époux. Une forme de divorce avant la lettre, mais qui n’induit qu’un relâchement des liens conjugaux.
Par ailleurs, dans les colonies américaines dépendantes de la couronne anglaise, la législation sur le divorce est déjà plus libérale au XVIIIe siècle. Dans le Massachusetts, par exemple, il est possible de divorcer pour abandon ou adultère dans toutes ses formes. Toutefois, il faut attendre 1773, pour que les femmes obtiennent le droit d’engager cette procédure qui est longtemps demeurée un apanage masculin et les cas de divorces y sont restés rares... 143 prononcés de 1692 à 1786.
Baptiste Etienne
Source :
AD S-M, H dépôt 2 H 15, Papiers étrangers aux hospices, “Contrat de mariage et papiers concernant le sieur Perdrix, teinturier à Rouen, et Dlle Catherine Allais (1647-1652)”
Bibliographie :
- David BASTIDE, "La survivance des coutumes dans la jurisprudence du XIXe siècle (1800-1830) - Autour de la femme, de la dot et du douaire normands", Annales de Normandie, n° 56, 2006, p. 395-414 (http://www.persee.fr/doc/annor_0003-4134_2006_num_56_3_1586)
- Adrien Jean Quentin BEUCHOT, Oeuvres de Voltaire - Avec préfaces, avertissements, notes, etc., vol. 28, Paris, chez Lefèvre, 1829, article "divorce", p. 436-439
- Jean-Louis HALPERIN, "Les fondements historiques des droits de la famille en Europe - La lente évolution vers l'égalité", Informations sociales, n° 129, 2006, p. 44-55 (https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2006-1-page-44.htm)
- Roderick G. PHILLIPS, "Le divorce en France à la fin du XVIIIe siècle", Annales, n° 34, 1979, p. 385-398