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« Le lendemain du jour de Noel, M. le president de Franquetot envoya un huissier chez touts Mrs du Parlement, qui estoient pour lors à Rouen, pour les prier de se trouver chez luy le jour suivant, jeudy 27 du mois. On croyoit que ledict sieur president eust quelque chose de fort considerable à proposer & à quoy il fust fort important de pourvoir puisqu’il assembloit ainsy la compagnie en un temps auquel le Parlement estoit vacant »

Dans son Mémoires, Robert Bigot (1633-1692) fait état de son étonnement en raison de la convocation du Parlement en période de vacances du Parlement de Normandie. En 1652, ce magistrat a d’abord été en tant qu’avocat, puis conseiller aux requêtes en 1654. Il occupe cette charge jusqu’à son décès. Celui-ci est donc membre d’un Parlement de province, c’est-à-dire d’une cour souveraine prestigieuse qui juge en dernier ressort. Cette institution reçoit donc tous les procès en appels des tribunaux subalternes, ainsi que les affaires impliquant les pairs, les chapitres, les communautés, les bailliages ou les sénéchaussées.

Que se passe-t-il en cette période de Noël 1658 ? Le président à mortier Robert Franquetot (1600-1666), sieur de Coigny, décide subitement de réunir à son domicile tous les parlementaires présents dans la ville de Rouen. Ce président n’est pas n’importe qui puisqu’il occupe cette charge depuis une vingtaine d’années, ce qui lui offre une certaine aura. Déjà en 1629, il a été lieutenant-général du bailli de Cotentin et président au Présidial de Coutances, avant d’être reçu président à mortier à la résignation de son père. Enfin, Franquetot a tenu la première présidence du Parlement, par intérim, après la mort de Faucon de Ris en 1663. Voysin de La Noiraye, l’intendant de la province, juge qu’il est un “homme de petit esprit, lequel neantmoins ayant passé quelques années dans la charge de lieutenant-general de Coutance et plusieurs dans celle de president au Parlement, s'est acquis quelque capacité ; touttesfois assez mediocre pour la fonction de sa charge”. L’intendant ajoute même subtilement que Franquetot “est fort impatient, n'a nul interest sordide, mais donne beaucoup dans la justice à ses amis et à la faveur”.
Si la décision de réunir extraordinairement les juges en pleine vacances ordinaires n’a rien d’inhabituel, il demeure que le président aurait pu faire le choix d’attendre la rentrée puisque cette réunion a pour seule vocation de présenter un arrêt du conseil du roi. Celui-ci vise à interdire la fabrication de liards à partir de la fin du mois. Les liards sont une monnaie de billon ou de cuivre qui vaut 3 deniers ou le quart d'un sou, ils sont réduits à 2 deniers par lettres patentes de 1658. Sous Louis XIV une ordonnance de 1654 oblige à fabriquer les liards en cuivre pur et sans aucun mélange. Or, Robert Bigot considère que cet arrêt n’a rien de nouveau car la cour en avait déjà été informée quinze jours auparavant. On ne juge donc pas nécessaire de réaliser un arrêt à ce sujet.
Cette remarque de Robert Bigot invite à nous interroger quant à l’absentéisme des parlementaires. L’année judiciaire, en elle-même, conditionne la présence des magistrats. Celle-ci est ponctuée par de nombreuses vacances et jours chômés ; pour seulement cent soixante-dix jours d’exercice par an. On est donc bien loin de nos cinq semaines de congés payés instaurés en France depuis 1982...

Les historiens ont longtemps considérés que les parlementaires du Grand Siècle sont massivement absents et que seuls quelques uns s’occupent d’évacuer les affaires courantes. Or, au milieu du XVIIe siècle, il ressort nettement que ces officiers ont une présence que l’on peut considéré comme “moyenne”. La part de ces juges totalement absents ou très présents est faible. En outre, l’institution parlementaire est soucieuse d’assurer la discipline et aborde la question de l’absentéisme dans nombre d’arrêts de règlement.
Bref... il ne me reste qu’à vous souhaiter de bonnes fêtes et, surtout, de bonnes vacances ! Peut-être pourriez-vous vous inspirer de Robert Bigot qui déclare, dans la suite de son Mémoires, avoir “travaillé pendant ces festes à revoir les livres d’Homere, sur lesquels j’ay fait quelques remarques qui peuvent servir à destromper ceux qui proposent cet ouvrage comme le modelle le plus accomply d’un poëme heroique”.

 

Baptiste Etienne


Source :
BM de Rouen, Montbret 986, Depuis la Saint Martin 1657 jusques à la Saint Martin 1658, par Robert Bigot de Monville, f° 1 et 2

Bibliographie :

- Baptiste ETIENNE, Le Parlement, les parlementaires rouennais et l'autorité royale, durant la Fronde (1648-1652), vol. 1, Mémoire de Master II, Université de Caen, 2013 (https://www.academia.edu/21860361/Le_Parlement_les_parlementaires_rouennais_et_l_autorit%C3%A9_royale_durant_la_Fronde_t._I_)

- Virginie LESAGE, « Multiples domaines abordés par les arrêts de règlements », dans Du Parlement de Normandie à la Cour d'appel de Rouen (1499-1999), Nicolas PLANTROU (dir.), Paris, Imprimerie nationale, 1999, p. 214
- Thomas LUTTENBERG, « Messieurs sont absents. L’assiduité des trésoriers généraux de France au bureau des finances de Bourges (1578-1650) », dans Offices et officiers « moyens » en France à l’époque moderne - Profession, culture, Michel CASSAN (dir.), Pulim, Limoges, 2004, p. 75-95


Sitographie :
https://parlementdeparis.hypotheses.org/ (blog de recherche "Parlement(s) de Paris et d'ailleurs (XIIIe-XVIIIe s.)", réalisé par Isabelle Brancourt et proposant d’innombrables références sur le monde parlementaire d'Ancien Régime)
[ Modifié: samedi 21 novembre 2020, 12:47 ]