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Ceux qui commencent à connaître mes articles savent bien que je n’ai pas choisi ce texte pour sa graphie... il faut même dire qu’elle est plutôt désagréable. Prieur de Saint-Ouen de Rouen de 1663 à 1669, Victor Texier (1617-1703) l’auteur de ces Mémoires, n’entrera donc jamais dans la longue liste des auteurs dont la plume titille mon âme de paléographe. Néanmoins, l’anecdote qu’il relate est précieuse puisqu’elle constitue le point de départ de l’affaire qui nous intéresse aujourd’hui.
« Ce Mr de La Croisette estoit 1 homme d'esprit et de teste,
mais sorty de et origine du Bas Languedoc,
il avoit espousé l'heritiere du Rolet. Dans la
recherche qu'on fit lorsque j'estois prieur de Caen
et dont Mr Cousin etoit le traitant, Madame du
Rolet me vint voir et me demanda s'il n'y
avoit pas au Bas Languedoc une abbaye
apellée Aniane, "ouy et j'en conois fort le prieur".
"Ecrivez luy, je vous prie, dans une recherche
on a besoin de tous les tiltres, qu'il vous
envoye ceux de la noblesse de mon mary, dont
les ancestres sont fondateurs de cete abbaye et
enterrez là, dans une manifique sepulture. »
La femme d’Anne Le Blanc du Roullet ( -1680), seigneur de La Croisette, vient demander de l’aide à un religieux bien dans le monde et en relation avec de nombreuses personnalités normandes. Elle souhaite alors entrer en contact avec le prieur de l’abbaye d’Aniane, en Languedoc. La raison de cette requête ? Dans le cadre “d’une recherche” anodine, cette femme aurait besoin de se procurer les titres de noblesse de son époux. A priori, cela ne pose aucun problème et Victor Texier accepte la commission. Rien de plus normal puisque Monsieur de La Croisette est un ancien gouverneur et bailli de Caen. Considéré comme “le favoris” du duc de Longueville, le gouverneur de la province. Bien implanté en Normandie, La Croisette y possède de nombreuse terres. Il a incontestablement de l’entregent et a même été en contact direct avec Mazarin à plusieurs reprises.
Sauf que... quelques temps plus tard, Anne Le Blanc du Roullet, seigneur de La Croisette, vient en personne à la rencontre de Victor Texier. “Il parla de mille choses indiferentes”, comme pour noyer le poisson avant d’en venir à l’essentiel. Et l’essentiel c’est bel et bien de discréditer sa femme en assurant qu’elle est “folle”. Notre prieur en convient volontiers en affirmant qu’il “l’apelloit ainsy et avoit raison”. La Croisette affirme alors qu’il n’y a nul besoin de rechercher de titres puisqu’on “me connoist et on sçait ma noblesse”. D’un commun accord, les deux hommes décident de ne pas pousser plus avant les recherches.
Ce que Victor Texier ne dit pas, lors de la rencontre, c’est qu’il a déjà reçu la réponse du prieur languedocien et elle est sans appel ! Toute cette histoire de noblesse n’est en fait qu’une “chansson” et les La Croisette ont usurpé leurs titres. Après avoir fait fortune en Languedoc, ils déménagent en Normandie pour vivre noblement et faire croire à une ascendance illustre. Or, le patriarche de la famille n’était qu’un “malheureux, dont à peine conoissoit-on la famille”. L’affaire est donc enterrée discrètement...
Dès le milieu du XVIe siècle, le genre de la généalogie se développe en lien avec l’affirmation identitaire. Au même moment, se met en place l’usage de parentés fictives à travers toute l’Europe. En France, l’étude des bourgeois de Valencienne conduit à déceler des embellissements de généalogies par la création d’origines nobles totalement fictives, « mais crédibles ».
Toutefois, si au début de l’époque moderne, il suffisait de vivre noblement sur trois générations pour être reconnu comme tel, à partir du XVIIe siècle l’autorité royale souhaite incarner la seule source de prestige en la matière. Excessivement fréquents, ce genre de cas encouragent la Couronne à mener aux grandes recherches de noblesse à partir de 1666, dont l’objectif est de taxer des “finances” pour de prétendues maintenues de noblesse. Il convient alors de vérifier attentivement les preuves de noblesses, et ce, même pour les familles les plus illustres. Évidemment, on trouve des “pièces originales” des plus douteuses pour les plus hardis et, parfois, un malencontreux incendie de papiers est si vite arrivé... Du reste ces maintenues de 1666 et 1696 font souvent l'objet de contestations au siècle suivant, ce qui donne à la Couronne l'occasion de taxer de nouvelles "finances".
En somme, s’il n’y avait qu’une seule leçon à retenir de cette affaire, c’est que les sources doivent être vérifiées et plutôt deux fois qu’une, même lorsque l’antiquité de noblesse paraît assurée.
Baptiste Etienne
Source :
BnF, F FR 25 007, Mémoires, par Victor Texier, f° 27 et 28
Bibliographie :
- Germain BUTAUD et Valérie PIETRI, Les enjeux de la généalogie (XIIe-XVIIIe siècle). Pouvoir et identité, Paris : Autrement, 2006
- Yves JUNOT, Les bourgeois de Valenciennes - Anatomie d’une élite dans la ville (1500-1630), Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion, 2009 (https://books.google.fr/books/about/Les_Bourgeois_de_Valenciennes.html?id=-bjgxgNWOGsC&redir_esc=y)
- Valérie PIETRI, « Vraie et fausse noblesse: l’identité nobiliaire provençale à l’épreuve des reformations (1656-1718) », Cahiers de la Méditerranée, n° 66, 2003 (http://journals.openedition.org/cdlm/117)
- Augustin REDONDO, « Légendes généalogiques et parentés fictives en Espagne au Siècle d’Or », dans Les parentés fictives en Espagne (XVIe-XVIIe siècles), Travaux du « Centre de recherche sur l’Espagne des XVIe et XVIIe siècles », Paris: Publications de la Sorbonne, 1988
« (Jeanvier 1709)
L'iver a esté très exstraordinairement rude par
tout l'Uroppe que de vie d'homme l'on n'a veu un
pareil iver, sy long, aÿant continué à Rouen par 5
fois, de sorte qu'après Pacque l'on ce choffoit. Ce quÿ
a caussé disette de bois, manques de travail, tout
aresté, les vivres manques, pour les chemins inpratica-
ble, par les grande naige qui ont tombé, donc jamais
son pareil, grose eauxs pasable qui a duré 3 semaine plus-
ieurs mords de froit, pieud, mains gellez, charté de bois.
Ce quÿ valloit 14 s. a esté vendu 45 s. à 50 s. C'est ensuivÿ, au
commensement d'avril, charté de grains, de vivres. Le pain
de 3 s. 6 d. à 15 s. et 18 s., les 6 marques ou 6 lt. la viande. De mesme,
sidre, vin, eau de vie, rencherie de plus d'une motié, pouvre-
té, misere, argen tres court, pettite gangne, métier demeurés
plain de pouvre, forse hause, drois d'entrée sur tout quÿ mine
& reduict le peuple à l'exstremité, gaierre contre l'Alemangne,
l'Engleterre, Holande, Portugal (...) »
En quelques lignes, on découvre tout l'effroi de Jacques Papavoine (1648-1724) confronté au Grand Hiver de 1709. Ce marchand mercier, puis courtier, est enregistré comme bourgeois de Rouen. Celui-ci est connu grâce à la rédaction de son Livre de raison. Il rédige régulièrement ce manuscrit sur une période allant de 1655 à 1723 et dans lequel il évoque ses affaires commerciales, mais aussi les événements du quotidien.
Son récit du mois de janvier 1709 est – c'est le moins que l'on puisse dire – relativement confus. Il évoque sans transition le froid, la cherté, les impositions, ainsi que les guerres.
Et pour cause, la guerre de Succession d’Espagne, entamée dès 1701 par Louis XIV s’enlise, faisant augmenter les prélèvements fiscaux et freinant considérablement l’activité économique du royaume. Dans ce mélange de complaintes, le trouble de ce marchand est des plus sensible. Qu’est-ce qu’il se passe lors du Grand Hiver 1709 ?
Comme le souligne Jacques, un grand froid touche l'Europe entière de la Scandinavie à la Méditerranée durant au moins quatre mois. Cette année glaciale succède à plusieurs années clémentes de 1701 à 1708, mais se situe dans une période plus large de climat capricieux. Concrètement, entre 1630 et 1730, le climat est au cœur d'une courbe séculaire relativement moyenne à bonne. Toutefois, les années 1687-1700 constituent un bloc d'années froides avec une différence de 1,3 C° inférieure par rapport à la moyenne. Cela peut paraître faible, mais sur une période aussi courte c'est énorme puisqu'un dixième de degré peut faire varier d'un jour la date des moissons ou des vendanges. 1,3 C° de moins, ce sont des récoltes retardées de deux semaines en moyenne.
À l'échelle du royaume, l'hiver 1709 fait suite à un automne 1708 déjà rigoureux. En janvier, un froid vif s'installe subitement. Le 5 janvier, il fait encore +10,7 C° à Paris et -3,6 C° dès le lendemain. Jusqu'à la fin du mois de mars le froid persiste et, entre janvier et février, il fait en moyenne -20 C° en Île-de-France. La neige couvre presque entièrement le royaume et les eaux des fleuves et rivières débordent et gèlent en transformant les plaines en vastes glacières.
Jacques Papavoine est loin d'être le seul à évoquer cet événement majeur de l'histoire de France et il ne peut être suspect d'exagération. S’il évoque cinq vagues de froid, l'historien Michel Lachiver n’en retient que quatre grands épisodes de froid consécutives à l’échelle du royaume. Le nord de la France a été particulièrement touché, mais le Grand Hiver frappe l’hexagone de manière généralisée. À Versailles, Louis XIV, lui-même, est contraint de rester cloîtré du 8 au 17 janvier ce qui « l'incommode, un peu, de ne point prendre l'air ». Il ne peut aller se promener à Marly que le 18 et le lendemain à Trianon. Pour le commun, la vie quotidienne est paralysée par le froid durant plusieurs jours et il gèle même dans les maisons, au coin des cheminées. Dans la suite de son évocation du Grand Hiver et de ses conséquences, Jacques Papavoine ne cesse de se plaindre de l'augmentation des impôts et d'une justice abandonnant « le tout en proÿe au plus forz ; parjures, fraude, subtillitzz, nulle consianse, sans charité, medisance, usure et autres genre de vivre sont dit usagé pour persécuter le juste ».
Baptiste Etienne
Source :
- BM Rouen, Ms. M. 281, Livre de raison, par Jacques Papavoine, f° 136
Bibliographie :
- Michel DERLANGE, « Aspects et conséquences d’une crise sur le temps long », Cahiers de la Méditerranée, 74 (http://cdlm.revues.org/2173-)
- Olivier JANDOT, « Les gens simples face à l'hiver (XVIe siècle-XVIIIe siècle) », Colloque qui s'est tenu les 26 et 27 septembre 2017 à la Fondation Singer-Polignac (https://vimeo.com/236119785)
- Marcel LACHIVER, Les années de misères – La famine au temps du Grand Roi, Fayard, Millau, 1991
Cette carte du réseau d’hébergements par rues présente des perspectives intéressantes quant à l’implantation des hôtels dans une ville de l’importance de Rouen au milieu du XVIIe siècle. Nous connaissons la rue, la place ou la proximité d’un établissement public dans 102 cas contre seulement 82 sites d’accueil pour lesquels la paroisse est identifiée.
Un premier maillage en forme d’étoile se dessine, avec des auberges situées sur les principales artères donnant aux portes de la ville. Comme dans le cas Rennais, la localisation de ces établissements répond à la vocation de carrefour de Rouen, croisement dont les axes principaux sont signifiés par les portes. Un second maillage, plus dense dans le centre-ville, offre une répartition focalisée majoritairement dans la partie nord du Castrum et dans le quartier Beauvoisine. Saint-Martin-sur-Renelle connait la plus grande agrégation d’établissements, soit une vingtaine d’auberges en activité sur une période d’une cinquantaine d’années.
La proximité du palais de justice attire environ vingt-cinq sites comme en témoignent les cinq établissements localisés « proche le Parlement ». S’ajoutent les six autres de la rue Saint-Lô et en particulier celle du Lion Rouge. En janvier 1650, le tavernier et hôtelier de cet établissement est convoqué au bailliage dans le cadre d’un procès contre les pâtissiers-oublayers pour avoir congelé des saucisses achetées au Vieux Marché. Une vingtaine d’autres sites se concentrent dans un rayon de 100 mètres, dont onze sont localisés dans la rue Percière de la paroisse Saint-Martin-sur-Renelle. Un troisième maillage est identifiable à proximité des quais. Cet espace permet l’implantation d’une dizaine d’autres hôtels avec une répartition plus éparse. Les quais et la porte sont essentiellement marqués par l’activité fluviale et les conflits, comme en témoigne l’agression, un après-midi d’août 1650, du poissonnier Jean Golain. Alors qu’il pêche près de sa boutique, celui-ci est attaqué par trois inconnus armés d’épées et de « croq de fer ».
Dans les faubourgs, Saint-Gervais, Saint-André et Saint-Sever, se partagent un minima de six auberges, alors que celui de Saint-Paul est bien moins attractif. Comme dans le cas de Lyon, ces espaces jouent un rôle de sas, en offrant une solution de repli aux voyageurs qui trouvent les portes de la ville closes. L’ensemble de ces établissements hôteliers qui scandent l’espace et offrent de nombreux points de rencontre se situe principalement aux extrémités et dans le voisinage de lieux fréquentés.
Baptiste Etienne
Nous avons tous remarqué au bas des actes produits aux XVIe et XVIIe siècles des signatures d’une grande diversité : parfaitement maîtrisées et pourvues de savants paraphes pour les lettrés, plus souvent assez hasardeuses pour la majorité de la population, ou parfois réduites à de simples croix pour les illettrés. Mais quel que soit leur niveau d’alphabétisation, certains de nos ancêtres se singularisaient au moyen d’une marque professionnelle. Il s’agissait d’une représentation graphique – et souvent codifiée – du métier qu’ils exerçaient. Ainsi, un joueur de violon faisait-il suivre sa signature du dessin d’un violon, ou un maître chapelier esquissait-il un chapeau. Certaines de ces représentations sont fort abouties, et témoignent même d’un réel sens artistique.
Ces marques professionnelles semblent avoir connu leur essor aux XVIe et XVIIe siècles. En effet, on en rencontre de nombreux exemples dans les archives notariales entre 1550 et 1650, ainsi que dans les registres paroissiaux, les archives judiciaires, etc. Mais il faut noter qu’antérieurement à cette période, les particuliers apposaient assez rarement leur signature ou leur marque au bas des actes, le curé, le notaire ou l’homme de loi qui rédigeait l’acte se portant seul garant de leur présence. Au XVIIIe siècle, les marques professionnelles se font beaucoup plus rares, sans doute en raison de l’élévation du niveau d’alphabétisation ou, peut-être, par peur d’être assimilé à un illettré ?
Certaines de ces marques étaient très codifiées. Les boulangers dessinaient classiquement une pelle à enfourner, les serruriers une clé, les maçons une équerre ou un fil à plomb, les potiers un pot, les tailleurs d’habit une paire de ciseaux, les maréchaux-ferrants un fer à cheval, etc.
À titre d’exemple, j’ai reproduit ci-dessus quelques-unes des marques professionnelles les plus significatives parmi toutes celles que j’ai rencontrées dans les archives notariales de Meaux (Seine-et-Marne), aux XVIe et XVIIe siècles.
Bien représentées dans tous les types d’archives et dans toutes les régions, ces marques professionnelles mériteraient assurément une étude typologique approfondie.
Jean-François Viel