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« Exemple de la hauteur de Mr de Longueville. Mr Morant, intendant, passa en revue au Pont de l’Arche un regiment. Mr de Longueville, irrité, l’envoya enlever dans un carosse à 6 chevaux, escorté de 6 gardes.
On l’emmena à St Ouen, dans une chambre, où il fut un jour et demy sans qu’on luy parlast. »
Ironique, le prieur de Saint-Ouen de Rouen de 1663 à 1669, Victor Texier (1617-1703) évoque dans ses Mémoires une affaire retentissante. Il présente l’épisode fameux comme un “exemple de la hauteur de Mr de Longueville”,
ici cela renvoie à la fermeté, à la fierté ou à l’orgueil. Ce conflit oppose deux personnages importants de la province de Normandie durant l’Ancien Régime : le gouverneur de Normandie et l’intendant.
Depuis 1619, Henri II d’Orléans (1595-1663)
est gouverneur de l’une des principales provinces du royaume de France, la Normandie. Prince et pair de France, il est issu de la maison d’Orléans-Longueville. Il a d’abord été gouverneur de Picardie, puis de Normandie à partir de 1619. Issu de
la famille royale, il n’hésite pas à se révolter dès 1620, en ralliant le parti de Marie de Médicis. Il est alors suspendu de ses fonctions durant quelques mois. À partir de 1637 et jusqu’en 1641, on observe un certain retour en grâce puisqu’il
mène des campagnes en Franche-Comté, dans le Piémont, en Alsace et dans le Palatinat. Le milieu des années 1640 constitue l’aboutissement de sa carrière. Il dirige alors la délégation française lors des pourparlers préliminaires des Traités de
Westphalie qui mettent un terme à la guerre de Trente Ans (1618-1648). En tant que gouverneur, il est une véritable figure tutélaire qui apparaît partout dans les archives. Il est « celuy qui commande en chef » et qui est en rapport avec toutes
les institutions ou les personnalités pouvant s’adresser directement à la personne du roi. En homme de Cour, on espère son soutien et le support de son crédit personnel.
Duc de Longueville, gouverneur de Normandie
Comme le souligne Madeleine Foisil, la deuxième partie de sa carrière - après la Fronde - est moins éclatante et turbulente que la première. Durant les dernières années de sa carrière, l’âge avançant, “les grands élans de la vie se sont apaisés”. Toutefois,
il réalise un dernier coup d’éclat en obtenant la tête de l’intendant, Thomas Morant (1617-1691).
Celui-ci est d’une tout autre envergure. Baron puis marquis du Mesnil-Garnier à partir de 1659, il est issu d’une noblesse récente. D’abord conseiller
au Grand Conseil dès 1636, il achète la charge de maître des requêtes en 1643. Cet office lui donne accès à des intendances. Celui-ci débute donc sa carrière d’intendant en Guyenne (dans le sud-ouest du royaume), au lendemain de la Fronde. Il avait
alors pour mission de maintenir la province dans l’obéissance et de briser la résistance des parlements de Bordeaux et de Toulouse.
En 1653, il est nommé en tant qu’intendant de Caen, puis de Rouen en 1657. Deux ans plus tard, il est commis à Tours
avant d’être révoqué en 1661, suite à l’arrestation de Nicolas Fouquet. En 1680, il obtient l’intendance de Provence, avant de finir sa carrière en tant que Premier Président du Parlement de Toulouse en 1687. L’affrontement entre ces deux personnages
est logique puisqu’il s’agit d’une concurrence de compétences. Ainsi, tenant son pouvoir du Conseil et non du roi, aucun texte ne réglemente la fonction d’un intendant. Il s’agit d’un commissaire qui est donc révocable. C’est un agent encore « extraordinaire
», mais la continuité des commissions rend cette fonction de plus en plus stable et menace les prérogatives d’un gouverneur qui se retrouve cantonné à un rôle honorifique, en matière de police notamment.
L’affaire débute à la fin de l’année
1658, alors qu’un conflit éclate entre les deux hommes au sujet du logement des gens de guerre dans la province. Le duc se sent alors menacé dans ses prérogatives et entend « faire sa charge de gouverneur de Normandie de la maniere qu’elle a toujours
faict ». À cette occasion, le duc souligne que le rôle des intendants est de s’intéresser aux questions d’impositions et de « pourvoir à la subsistance des gens de guerre », mais que la question de la répartition du logement lui appartient.
L’année
suivante, le conflit au sujet des prérogatives militaires entre les deux hommes rebondit. Le passage en revue d’un régiment par Morant au Pont-de-l’Arche provoque la fureur du duc de Longueville qui « l’envoya enlever » dans un carrosse. Il est alors
enfermé à Saint-Ouen durant un jour et demi, « sans qu’on luy parlast ». Cette abbaye est la résidence habituelle du duc à Rouen. Si le prieur Victor texier considère que Morant est un « homme fort fier », il accepte de jouer le rôle d’intermédiaire
avec le duc de Longueville. Après une négociation intense, le gouverneur accorde un dîner avec l’intendant et « il y vint et y disna en bons amis ». Cet épisode marque son pouvoir et permet au duc d’obtenir la révocation de l’intendant puisqu’il «
n’osoit entrer à Rouen » par la suite.
Cette affaire montre l’influence encore sensible d’un gouverneur à la veille du règne personnel de Louis XIV. À partir de 1661, leurs prérogatives sont de plus en plus limitées, grignotées petit à petit par
les intendants.
Sources :
- BnF, F FR 25 007, Mémoires, par Victor Texier, f° 16
- AN, 394 AP 1, “Escrit de Mr Longueville touchant le different du logement des gens de guerre”, du 12 décembre 1658
- BM de
Rouen, Montbret, Y 12, Histoire de la Maison de Longueville
- Dictionnaire de l'Académie, Première édition, Paris : veuve Jean-Baptiste Coignard, 1694, p. 531 et 558
Bibliographie :
- Lucien BÉLY, Louis XIV - Le plus grand roi du monde, coll. “Classiques de l’Histoire”, Paris : Éditions Jean-Paul Gisserot, 2005
- Edmond ESMONIN, “Un épisode du rétablissement des intendants
: la mission de Morant en Guyenne (1650)”, Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, n° 1, 1954, p. 85-101
- Madeleine FOISIL, “Une mort modèle. La mort du Duc de Longueville, gouverneur de Normandie (1663)”, Annales de Normandie, n°
1, 1982, p. 243-251
- Arlette LEBIGRE, La duchesse de Longueville, Paris, Perrin, 2004
- François OLIVIER-MARTIN, L’administration provinciale à la fin de l’Ancien Régime, coll. « Reprint
», LGDJ, 1997
- Anette SMEDLEY-WEILL,Les intendants de Louis XIV, Paris : Fayard, 1995
Comments
« Leger luy mit les deux doigts par derriere
p(ou)r dire cocu, il le vit dans un miroir, crut
que c’estoit Mad(am)e de Long(ueville) qui avoit fait cela
et revint p(ou)r luy dire : “je le sçavois bien Mad(am)e,
mais il n’estoit pas necessaire q(ue) vous prissiez
la peine de m’en avertir"! »
C'est sur ce simple quiproquo qu’un épisode houleux et loufoque de la vie du duc et de la duchesse de Longueville commence. Ces quelques lignes sont le fait de Victor Texier (1617-1703), celui-là même que j’évoquais dans un précédent article sur les “Généalogies trafiquées...”. Il écrit ses Mémoires alors qu’il est prieur de Saint-Ouen de Rouen de 1663 à 1669.
Ce religieux est un proche des Longueville et, en particulier du duc, qu’il connaît bien. Nul doute que celui-ci est sa source au sujet de cette histoire dans laquelle il est partie prenante.
Revenons sur les faits. Nous sommes à la veille de la Fronde (1648-1652). Alors qu’il se rendait à la chasse, le duc prend le temps de faire un détour par la chambre de la duchesse qui est en train de se faire coiffer par sa servante, Madame Leger. Aux “cheveux admirables”, cette jeune servante est la fille d’un homme qui s’est ruiné pour faire imprimer un ouvrage en plusieurs langues. Elle a toute son importance dans cet épisode. Après son service auprès de la duchesse, elle se serait mariée en Basse-Normandie.
La duchesse reçoit alors le duc “assez bien” mais, au moment de sortir de la chambre, il aperçoit dans le miroir un signe de doigts réalisé par la servante. Ce signe faisant explicitement référence à une rupture des saints sacrements de mariage. Croyant que ce fameux signe est l’œuvre de la duchesse, s’en suit la répartie évoquée ci-dessus. Pourtant, il semble bien que la duchesse n’ait pas entendu cette phrasette cinglante. Elle dû comprendre le malaise par la suite puisqu’il “n’a jamais couché avec elle” par la suite.
Le duc et la duchesse de Longueville
Le duc et la duchesse sont des personnages hauts en couleur qui gagnent à être connus. Depuis 1619, Henri II d’Orléans est gouverneur de l’une des principales provinces du royaume de France, la Normandie. Dans ses Mémoires, son ami Texier nous dresse un portrait de lui en affirmant qu’il “estoit petit, avoit infinim(ent) d’esprit, touj(ou)rs pirouettant, affable et parla(nt) à tout le monde”. C’est aussi un homme qui aime à se montrer puisqu’il “marchoit souve(nt) à pied à Rouen, son carosse derriere, les gardes jam(ais) deva(nt) luy, son chapeau sous le bras, et salua(nt) de costé et d’au(tr)e”. Dès 1620, il est une première fois suspendu de ses fonctions pour s’être révolté dans le parti de Marie de Médicis. À partir de 1637, on note un certain retour en grâce. Ainsi, il participe à plusieurs campagnes militaires au service du roi. En 1648, c’est l’apogée, puisqu’il est l’un des négociateurs pour les préliminaires des Traités de Westphalie qui mettent un terme à la guerre de Trente Ans.
Anne Geneviève de Bourbon est une intrigante avec “infinim(ent) d’esprit”. Texier nous précise que “quant elle plait, c’estoit d’ord(inai)re avec un air gracieux et souria(nt)”. Dans les années 1660, elle “fut touchée de Dieu aux Carmelites de Bordeaux” et s’en ouvre à Victor Texier. Leur mariage se déroule en 1642, alors que la duchesse a 24 ans de moins que le duc. Cette union est d’abord heureuse, en tous cas du point de vue du duc. Ainsi, les premières années, le duc “aimoit fort M(ademoise)lle de Bourbon qui estoit très belle, mais elle ne l’amoit gueres”. En outre, malgré cette dispute conjugale, c’est elle qui le pousse à s’engager dans la Fronde pour s’associer avec ses frères, le Grand Condé et, surtout, le prince de Conti. Elle le soutient tout du long dans cette entreprise, et ce, même après son arrestation en janvier 1650. Elle tente alors de soulever la province de Normandie, mais échoue et se réfugie à La Haye.
Revenons de la grande à la petite histoire. Il faut attendre plusieurs années et la fin de la Fronde pour que la duchesse revienne auprès de son époux et il “la traitoit d’abord très froidem(ent)”. Cela ne se fait pas sans heurts. Leurs amis doivent intervenir, négocier, afin de “racommoder” le couple déchiré. Le duc et la duchesse finissent par se retrouver dans la chambre du lieu du crime avec une mise en scène théâtrale. Finalement, “il luy rendit toute sa confiance” et tout rentre dans l’ordre.
Au terme de ce petit exposé, la tromperie n’est pas véritablement attestée. Il demeure un point central, non élucidé et qui ne cesse de m’intriguer... quel était donc ce signe ? Je me dis que cela peut toujours servir pour mes amis lecteurs, à l’occasion...
Baptiste Etienne
Sources :
- BnF, F FR 25 007, Mémoires, par Victor Texier, f° 14 et 15
- Matthäus Merian, “Gravure d’Henri d’Orléans, duc de Longueville”, dans le Theâtre Européen, vers 1650
- Nicolas Regnesson, Portrait d’Anne Geneviève de Bourbon-Condé, duchesse de Longueville, en buste de 3/4, Collection Michel Hennin, BnF, deuxième moitié du XVIIe siècle
Bibliographie :
- Madeleine Foisil, « Une mort modèle. La mort du Duc de Longueville, gouverneur de Normandie (1663) », Annales de Normandie, 1982, p. 243-251 (http://www.persee.fr/doc/annor_0000-0003_1982_hos_1_1_4173)
- Arlette Lebigre, La duchesse de Longueville, Perrin 2004
- Rémy Scheurer, « Henri II d'Orléans-Longueville, les Suisses et le comté de Neuchâtel à la fin de la guerre de Trente Ans », dans 1648 : Die Schweiz und Europa, 1999, p. 99-109
- Sophie Vergnes, « La duchesse de Longueville et ses frères pendant la Fronde : de la solidarité fraternelle à l’émancipation féminine », Dix-septième siècle, n° 251, 2011 (https://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2011-2-page-309.htm)
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