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Proche de celle que l’on lit encore de nos jours, la presse est véritablement née au XVIIe siècle, comme en témoigne la création de la Gazette de France par Théophraste Renaudot (1586-1653). En 1629, ce médecin fonde le Bureau d’adresse, puis le premier journal hebdomadaire deux ans plus tard.
Au milieu du siècle, alors que la tension politique est à son comble, on a souvent considéré que le gazetier prenait une certaine forme d’autonomie vis-à-vis du pouvoir royal :

« Les gazettes ne font point assez valloir les avantages des armes du Roy. Je sçay bien que les publications qui s’en font ne sont que pour amuser le peuple, mais cela ne laisse pas de faire impression sur son esprit et il me semble que l’on ne debvroit point souffrir que le gazetier fit sonner si haut les arrests du Parlement de Paris. C’est ce qui seduit davantage le monde et à entendre parler les enragez du temps, il semble que toute l’auctorité du Roy soit renfermée dans cette compagnie, on debvroit aussy du costé de la Cour faire courir quelque pieces bien faites en faveur des desseyn de Sa Majesté »

Rédigé en 1652 par un auteur anonyme, un manuscrit intitulé « Nouvelles de Roüen » revient sur le rôle de la Gazette de France durant la Fronde (1648-1652). Dans ce document envoyé au cardinal Mazarin, l’agent royal considère qu’il convient d’influer sur le journaliste afin de faire valoir l’intérêt de la Couronne. S’il demeure très difficile de mesurer l’impact de ces écrits sur la population, ce manuscrit remet nettement en cause certaines idées préconçues sur la notion de propagande, si souvent attachée à la Gazette.

Ce fait est d’autant plus marquant dans une période où les mazarinades foisonnent. Souvent mensongers, ces pamphlets visent à proposer une interprétation des faits plutôt qu’à rendre compte des réalités. On peut également y voir un procédé pour pousser à l’action, de sorte que leur fonction politique dépasse l’explicite de leurs propos. Comme en témoigne la richesse du débat des années 1980 entre Hubert Carrier et Christian Jouhaud, il convient d’utiliser l’ensemble de ces documents avec précaution.
C’est ce dont témoigne l’image du duc de Longueville véhiculée dans ces écrits. Gouverneur de la province, principal meneur de la Fronde en Normandie, il est décrit dans des termes très élogieux jusqu’à la paix conclue avec l’autorité royale. Or, à partir de ce moment et de la découverte qu’il n’a jamais été en mesure de mobiliser les troupes qu’il prétendait avoir… son image tend à se dégrader :

« Le duc de Longueville.
Bas bruit est bon garçon, & qui va lentement, va seurement.
Le Critique.
Autant chemine un homme en un jour, qu’une limasse en cent ans
»

Les auteurs de proverbes, à l’image du rédacteur de cette mazarinade, s’en donnent à cœur joie : celui qui était autrefois qualifié de judicieux, de prévoyant, voire de véritable « Heros » est alors logé ironiquement « ruë du Renard qui pesche, & de la limasse » ou « au Limaçon, au Chat qui Vielle, au vieux Singe & à l’Escrevisse ». Est-ce un exemple de ce que l’on pourrait appeler un redoutable retournement d’opinion ? En tous cas, il s’agit bien d’arguments tendant à montrer que l’information orientée, voire l’information falsifiée, sont des éléments aussi anciens que la presse, qu’elle soit “officielle” ou clandestine.

Baptiste ETIENNE


Sources :
- AN, KK 1083, « Nouvelles de Roüen », le 28 janvier 1652, f° 314
Paris débloqué, ou les passages ouverts – En vers burlesques, Paris : Claude Huot, 1649
Le visage de la Cour, et la contenance des Grands, avec leur censure – et le dialogue du Roy, & du duc d’Anjou, avec la mamman. En proverbes, Paris, 1652
Le tout en tout du temps, s.l., s.d.

Bibliographie :
- Hubert Carrier, La presse de la Fronde (1648-1653) – Les mazarinades, vol. 1, Genève : Librairie Droz, 1989
- Hubert Carrier, « Journalisme et politique au XVIIe siècle : Théophraste Renaudot », dans Le livre et l’historien, Genève : Librairie Droz, 1997
- Gilles Feyel, « Renaudot et les lecteurs de la Gazette, les "mystères de l’État" et la "voix publique", au cours des années 1630 », Le Temps des médias, n° n° 2, 2004 (en ligne)
- Stéphane Haffemayer, « Les ambiguïtés idéologiques de l’information périodique au milieu du XVIIe siècle », dans L’information à l’époque, n° 25, Paris : Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2001 (en ligne)
- Christian Jouhaud, Mazarinades – La Fronde des mots, Paris : Aubier, 1985
- Simone Mazauric, Savoirs et philosophie à Paris dans la première moitié du XVIIe siècle – Les conférences du bureau d’adresse de Théophraste Renaudot (1633-1642), Paris : Publications de la Sorbonne, 1997
- Roland Mousnier, Paris capitale – Au temps de Richelieu et de Mazarin, Paris : Éditions A. Pedone, 1978

[ Modifié: dimanche 22 août 2021, 17:37 ]