Paléoblog
« Ce ne fut que joyes par toulte la ville. De ce pas, se transporterent dans le Vieil Marché, plusieurs enfantz qui abbatirent et arracherent la potence, et la trainerent par toulte la ville avec cordes, criantz ‘’Vive le roy !‘’ et, en après, la rapporterent au Vieil Marché et fut consommée en feu »
En janvier 1635, alors que la ville de Rouen vient de subir deux révoltes coup sur coup, le temps des condamnations est venu. Parmi les six personnes emprisonnées pour sédition depuis 5 mois, trois sont des tanneurs et sont envoyés aux galères. Un
officier est condamné à 2 000 livres d’amende et à 3 mois d’interdiction de sa charge, alors qu’un marchand n’a qu’une peine pécuniaire conséquente de l’ordre de 10 000 livres.
Philippe Josse ( -1650) - curé de Notre-Dame-de-La-Ronde et l’auteur
du
Journal qui relate les faits - évoque les conditions d’incarcération des accusés au château du Pont-de-l’Arche. Celles-ci sont exécrables puisqu’ils sont « enchaisnés » et en mauvaise condition physique. Exception faite de ceux qui
disposent de plus de moyens et « qui avoitz plus de liberté pour leur argent ». Il ne reste donc plus qu’un accusé de rébellion, le fils d’un savetier sans le sou et qui est condamné à la pendaison. Pour avoir insulté des financiers, il est conduit
« par le bourreau, la corde au col ». Cela montre bien que les grands crimes font l’objet d’une sentence spectacle. Selon Christophe Regina, il convient « d’exhiber le crime vaincu » et les exécutions publiques en sont l’incarnation. L’idée est
bel et bien d’éveiller la peur instinctive chez le spectateur et utiliser l’exemple au service de la lutte contre le crime. Ainsi, le prisonnier chemine à travers la ville dans une charrette, accompagné de deux religieux. Ce n’est qu’une fois
arrivé sur la place, lieu habituel des exécutions, que se produit une « chose admirable ».
Potence à deux piliers (XVIIIe siècle)
C’est le moment choisi par un garde royal pour apporter une grâce de manière théâtrale. Le pardon est un acte souverain, caractéristique de la justice retenue. Comme le souligne Fanny Cosandey, par la grâce, le roi affirme « sa prééminence » et se place
comme la pièce maîtresse de l’échiquier institutionnel. En visant le dernier accusé, la politique royale cherche sans doute à atténuer la sévérité du système pénal, mais aussi à transcender la vie politique et sociale. Comment ne pas y voir aussi
l’expression d’une crainte de la part des autorités ?
Cette mansuétude ne s’adresse pas à un noble ou à un puissant. Le condamné n’a sans doute pas fait de demande explicite de pardon. Or, dans le cadre d’exécutions pour révoltes, les autorités
appréhendent souvent la réaction populaire. Ici, dès l’annonce de cette nouvelle, la foule s’en prend à la potence.
Dans son récit, Philippe Josse dédramatise l’événement en évoquant des enfants. Le duc de Longueville, alors gouverneur de Normandie,
est présent pour la mise à mort. Il se serait contenté de féliciter les bourgeois et tous « retournerent, chacun en sa maison, joyeux ». Néanmoins, comme les fourches patibulaires, la potence est un symbole de l’affirmation du pouvoir central, l’infamie
en plus. Celle-ci fait partie des cinq peines capitales avec le feu, la roue, la tête tranchée et l’écartèlement. L’intérêt limité des autorités peut s’expliquer par le fait que les potences sont en bois, installées pour l’occasion au coeur des villes.
Elles ne sont pas de nature à prolonger le spectacle morbide des corps en décomposition.
Enfin, contrairement à une idée reçue, les exécutions capitales n’appartiennent pas aux manifestations ordinaires de la justice de l’époque moderne. Dans le cas Toulousain, de 1738 à 1780, on en relève près de 8 annuellement, dont 64 % par pendaison.
Or, si l’on compare avec le nombre de plaintes déposées, cette sanction paraît pratiquement anecdotique.
Baptiste ETIENNE
Sources :
- BM de Rouen, Ms M 41, Journal, par Philippe Josse, f° 73
- Anonyme, Potences à deux piliers, aquarelle, collection privée, XVIIIe siècle
Bibliographie :
- Jean-Marie Carbasse, La peine de mort, coll. « Que sais-je ? », Paris : Presses Universitaires de France, 201
- Fanny Cosandey, « Instituer la toute-puissance ? Les rapports d’autorité dans la France d’Ancien
Régime », Tracés. Revue de Sciences humaines, n° 17, 2009, p. 39-54
- Jacqueline Hoareau-Dodinau, Xavier Rousseaux et Pascal Taxier (dir.), Le pardon, Limoge : Presses universitaires de Limoges, 1999
- Michel
Nassiet, « Grâce et entérinement : une mutation (XVIe-XVIIIe siècles », Les justices locales et les justiciables – La proximité judiciaire en France du Moyen Âge à l’époque moderne,Rennes : Presses Universitaires
de Rennes, 2015, p. 219-228
- Christophe Regina, « Exhiber le crime vaincu : les fourches patibulaires et la justice criminelle sous l’Ancien Régime », Criminocorpus, 2015
- Robert A. Schneider, « Rites de mort à Toulouse :
les exécutions publiques (17381780) », dans L’exécution capitale – Une mort donnée en spectacle (XVIe-XXe siècle), Aix-en-Provence : Presses Universitaires de Provence, 2003, p. 129-150
De 1636 à 1638, en pleine vague de révoltes à l’échelle du royaume, on compte trois à quatre mouvements sociaux d’ampleur dans la ville de Rouen. Celui de juin 1638 est des plus intéressant. Un jugement montre qu’une douzaine de revendresses de denrées sont accusées d’avoir volé « quantité de cerises » qui devaient être distribuées sur le marché.
« Ayant faict apporter dudict lieu en ceste ville quantité de cerises dans ung basteau estant devant les quaiz de ceste ville, proche la porte Jean Le Coeur, et pretendant les faire descharger et porter au Bel du Neuf Marché afin d’estre distribuez au publicq, suivant les reiglementz de la pollice »
C’est dans le petit commerce de détail - aux marchandises parfois prohibées - que l’on rencontre de nombreuses femmes en activités. Petites marchandes, souvent itinérantes de rue en rue et de place en place, cet emploi nécessite un investissement
initial faible et concerne donc les milieux les plus populaires. Ce commerce, dit “libre”, est mal perçu par les corporations qui y voient une concurrence capable de leur soustraire une partie de leur clientèle.
Ainsi, en 1566, à Nantes, les
maîtres pintiers (potiers d’étain) adressent une requête afin de faire confirmer leurs statuts et d’y ajouter deux articles destinés à protéger la profession contre la concurrence du commerce libre exercé par des femmes. Ce genre d’activités -
qui n’ont rien de répréhensible en soi - peuvent permettre de belles ascensions sociales. À la fin du XVe siècle, dans la vallée du Rhône, Lucien Bec, natif de Chablais, connu pour savoir acheter et vendre tout ce qui se présente, pratiquant
à l'occasion l'usure, est un bon exemple. Au soir d'une vie bien remplie, il se retire à Genève où ses filles ont déjà fait d'honnêtes mariages.
Sur les quais de Rouen, un matin de juin 1638, lassées d’attendre depuis 4 heure du matin, « grand
nombre » de femmes s’assemblent sur les quais, près de la porte Jean Le Cœur. À 7 heure, elles cherchent à intercepter les cerises avant qu’elles n’atteignent le marché. Il s’agit pour elles de s’accaparer les cerises avant toute taxation du fermier
des droits du Bel. Cette mobilisation féminine violente contraint le navire à stopper son déchargement pour se retirer au milieu de la Seine.
Les accusées sont condamnées à des amendes et sont rappelées aux règlements en vigueurs. Ce dernier mouvement de contestation avant la révolte des Nu-pieds peut difficilement être considéré comme une révolte et se rapproche – sans doute – d’avantage du tumulte, voire de simples échauffourées, selon la classification de Jean Nicolas. Toutefois, cet évènement témoigne d’un mécontentement des gens de métiers, qu’ils soient drapiers, cartiers ou revendresses. La tension sociale s’accroit continuellement jusqu’à l’année 1639. En outre, ce tumulte de 1638 permet de mettre l’accent sur la place des femmes dans les mouvements contestataires, ainsi que sur le rôle des cerises dans l’alimentation d’Ancien Régime.
On connait le rôle des femmes durant la Révolution Française et ce n’est pas un cas isolé puisqu’elles interviennent dans nombre de révoltes d’Ancien Régime, et ce, à travers toute l’Europe. Dans les troubles de subsistances, en particulier, celles-ci jouent un rôle de premier plan. Par ailleurs, Boris Porchnev considère que les femmes ont aussi joué un rôle comme leaders de différents mouvements contestataires. Or, leur rôle a longtemps été négligé par les historiens. Cela résulte d’un effet de sources, mais aussi d’une difficulté d’envisager la violence au féminin. Ainsi, la présence des femmes n’est pas systématiquement mentionnée dans les documents d’archives et, bien souvent, le seul moyen de les entrevoir est de recourir aux interrogatoires de justice. Ici, il s’agit du jugement des revendresses. Ce document présente l’avantage d’être relativement descriptif. Toutefois, à l’inverse d’un interrogatoire, il manque en quelque sorte de vie et ne présente qu’une “version officielle”.
Demeure une question : pourquoi des cerises ? Fruits du pays, à manger frais, cuits ou séchés ; les cerises permettent de couper la monotonie des menus de mai à juillet. À l’image d’autres fruits comme les pommes reinettes et courpendues, les poires, les griottes, les pêches, les prunes, les fraises ou les framboises ces produits sont consommés en saison ou, éventuellement, en confitures et en compotes. À l’hôpital de Genève, le règlement de 1712 stipule que « ceux qui travaillent » reçoivent - en guise de goûter - un morceau de pain et quelques fruits en été. Les oranges restent un luxe, encore au XVIIe siècle, elles n’apparaissent sur les marchés qu’à Noël. Si en milieux ruraux - réservés à la consommation familiale - les fruits ne font que peu l’objet d’un commerce, en ville, la situation est autre et ces aliments demeurent prisés. Ces produits sont issus des jardins et des potagers. Pour Jean-Baptiste de La Quintinie, créateur du potager royal de Versailles et auteur d’une somme sur le jardinage, le terme « potager » recouvre aussi les « fruits rouges, fraises, framboises, cerises et groseilles », et c’est tout naturellement que le Nouveau traité des jardins potagers (1692) se termine par un chapitre intitulé « des fruits du jardin », au nombre desquels sont évoquées cerises hâtives, groseilles, framboises et fraises.
Source :Arch. Dép. Seine-Maritime, 3 E 1 ANC 225, Hôtel-de-ville, acte du 2 juin 1638
Bibliographie :
- coll., « Révoltes urbaines, révoltes rurales », dans Les sociétés au XVIIe siècle - Angleterre, Espagne, France, coll. « Histoire », Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 433-464
- Martine Lapied, « Conflictualité urbaine et mise en visibilité des femmes dans l’espace politique provençal et comtadin, de l’Ancien Régime à la Révolution française », dans Provence Historique, t. LI, n° 202, 2000
- Jean-Pierre Leguay, “La rue : élément du paysage urbain et cadre de vie dans les villes du Royaume de France et des grands fiefs aux XIVe et XVe siècles”, Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, n° 11, 1980, p. 23-60
- Guy Lemarchand, « Troubles et révoltes populaires en France au XVIe et XVIIe siècles. Essai de mise au point », Annales de Normandie, n° 30, 2000
- Philippe Meyzie, L’alimentation en Europe à l’époque moderne (1500-1850), coll. U Histoire, Paris : Armand Colin, 2010
- Jean Nicolas, La rébellion française – Mouvements populaires et conscience sociale (1661-1789), Paris : Seuil, 2002
- Anne-Marie Piuz et Liliane Mottu-Weber, L’économie genevoise, de la Réforme à la fin de l’Ancien Régime (XVIe-XVIIIe siècles), Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève, Genève : Georg Éditeur, 1990
- Boris Porchnev, Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, Paris : SEVPEN, 1963
- Florent Quellier, « Le jardin fruitier-potager, lieu d’élection de la sécurité alimentaire à l’époque moderne », Revue d’histoire moderne & contemporaine, n° 51, 2004, p. 66-78, n° 51, 2004, p. 66-78
Sitographie :
http://n.bachelet.free.fr/Corpo/memoire.htm
http://dhaussy.verjus.free.fr/html/action-femmes.html#nbp1
http://academie-sciences-lettres-toulouse.fr/wp-content/uploads/2017/01/2016-14-JL-Laffont.pdf