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Pour comprendre la finalité de cet acte, il faut préciser que ces joueurs d’instruments ne disposaient localement d’aucune structure corporative particulière, et ne pouvaient donc s’appuyer sur un règlement ou des statuts professionnels pour exercer leur métier. Ils accomplissaient leur apprentissage chez un maître joueur d’instruments (nombre d’entre eux étaient fils de maître), et étaient reçus à la maîtrise par un « roi des joueurs d’instruments tant hauts que bas de ce royaume », siégeant à Paris, ou, le plus souvent, par l’un de ses lieutenants locaux.

Ici la totalité des joueurs d’instruments de la ville s’associent. En fait, huit d’entre eux exerçaient depuis longtemps déjà leur activité, mais l’arrivée d’un nouveau musicien (Pierre Garnier) dans leur communauté leur donne l’occasion de redéfinir plus précisément les règles de la pratique collective. Le gros de leur activité était de « sonner de leurs instruments » à l’occasion des noces, qui s’étalaient sur plusieurs jours (« jour, veille et lendemain »), tant à Meaux même que dans les villages environnants. Ils animaient également les fiançailles, les fêtes des confréries, les carnavals et mascarades, et étaient parfois engagés à l’occasion de la fête patronale d’une paroisse urbaine ou rurale, malgré les réticences du clergé. Les instruments utilisés n’apparaissent pas dans cet acte, mais ils sont connus par d’autres documents(2) : poches, violons, altos, violoncelles, contrebasses, hautbois, flûtes traversières, musettes et cornets à bouquin. L’activité des joueurs d’instruments était peu rémunératrice, et tous exerçaient parallèlement une autre profession ; certains étaient cabaretiers, mais la plupart avaient un métier en rapport avec les vêtements : drapiers, chaussetiers, tailleurs d’habits.

Ce contrat d’association stipule que tous les deniers qui proviendront de l’activité commune seront répartis équitablement. Seule l’activité de « monstrer à dancer » est exclue du partage des gains, de même que la participation individuelle aux fiançailles ou jusqu’à deux musiciens aux mascarades. Ceux qui contreviendront à ces dispositions se verront infliger une amende de trois livres tournois et demie.

Mais la disposition la plus étonnante de ce document en une clause d’assistance aux musiciens malades : « Plus est accordé que sy aulcun d’eux est detenu en infirmité de maladie, il aura sa part à ce qui se gaignera par l’espace de trois mois ». Une forme d’assurance maladie, en quelque sorte !

Le contrat est signé en présence d’un joueur d’instruments de la ville de Coulommiers, ce qui indique que les liens entre les communautés ménétrières étaient assez resserrés d’une ville à l’autre. On note que sur les dix musiciens présents, sept ont apposé leur signature accompagnée d’un paraphe avec, pour certains d’entre eux, une réelle maîtrise de l’écriture. Les trois autres, illettrés, se sont contentés de dessiner un archet.

Jean-François Viel

 

Transcription intégrale :
« Du jeudy quatriesme febvrier M VIC dix

avant midy en l’hostel dudict Jehan Maillet(3),

« Furent presens en leurs personnes Pierre Boujon, Jacques Postol, Jehan
Juneau, Jehan Maillet, François Postolle, Nicolas Vigneron, Pierre
Jovin dit Duchesne, Pierre Garryer et Jehan Garnier,
tous joueurs d’instrumentz demeurans à Meaux, lesquelz voluntairement ont promis
et promectent l’un à l’aultre estres compagnons ensemble leur vie
durant en l’estat et exercice de joueurs d’instrumentz,
de sonner et jouer ès nopces, jour & landemain, et batons
de confrairies tant en la ville que aulx champs, & tous les
deniers qui en proviendront tant en general qu’en particulier
que toutes faveurs provenantz desdictz instrumentz se partiront
egalement entre eux. Plus est accordé que sy aulcun d’eux est
detenu en infirmité de maladie, il aura sa part à ce
qui se gaignera par l’espace de trois mois, comme
aussy que s’il est trouvé que quelqu’un d’entre eux ne
rapporte justement et fidellement ce qui se gaignera, paiera
l’amande de LX st. X d. une fois paier(a). Et oultre est
accordé que ceux qui monstreront à dancer ne seront tenuz de rapporter
aulcuns deniers ne faveurs qu’ilz en recepvront pour leurs
sallaires(b). Et sy ne sera tenu faire aulcun rapport de ce
que chascun d’eux pourront gaigner aux mascaraddes,
pourveu qu’ilz ne soient plus de deux joueurs, mais s’ilz
sont jusques à trois & audessus, rapporteront fidellement
à la communaulté ce qu’ilz auront receu. Comme
aussy sera subject à rapport ce quy sera gaigné au fiencées,
pourveus qu’ilz soient deux joueurs et ung seul ne raportera
riens(c). Semblablement se rapportera à icelle communaulté
tout le proffict et gain que chascun d’eux auront à toutes
nopces, veilles & landemain(d). Pour assurer ce que dessus,
les susnommez ont accordé et promis l’entretenir et accomplir
affin de vivre en paix & amitié ensemble, accordans lesdictz
Boujon, Postolle, Juneau, Maillet, Postolle, Vigneron, Jovin et

Garryer que ledict Jehan Garnyer entre en leur communaulté,
y entrant par ces presentes, après qu’il leur a paié
les faveurs accoustumez & les vins deppancés en faisant
la presente association(e). Dont etc. promectans etc. obligeans biens etc. renonceans etc.
Faict presences de Haymond Cabry, maistre joueur d’instrumentz demeurant à Coulomiers, et
Jacques Musault, clerc à Meaux, tesmoings, les an et jour que dessus. »

[Ainsi signé : marque dudict Jehan Juneau (un archet) / marque dudict Pierre Boujon (un archet) / J. Postolle, avec paraphe / Jehan Maylet, avec paraphe / Pierre Jauvain, avec paraphe / marque dudict Vigneron (un archet) / P. Garryer, avec paraphe / J. Garnyer, avec paraphe / F. Postolle, avec paraphe / H. Cabry, avec paraphe / Leroy, notaire, avec paraphe/ Mussault, tesmoing, avec paraphe.]

Renvois :
(a) au proffict de ladicte communaulté.

(b) hors mis les gains qui ne se rapporteront.
(c) pourveu qu’il n’y ayt que luy quy joue ledict jour, et s’il y en a d’aultres, tous rapporteront.
(d) et sy a esté accordé que ceux qui reffuzeront à aller aux champs, chascun à leur tour, n’auront aulcune part à ce qui sera receu, ains ladicte part appartiendra à la communaulté.
(e) Comme aussy a esté accordé que ledict Garnyer ne prendra et n’aura aulcune part aux deniers & choses promis pour les nopces marchandées jusques à huy, mais bien aura sa part de ce quy se marchandera sy après.

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(1) Archives départementales de Seine-et-Marne, minutes de Me Jean Leroy, notaire royal à Meaux, 145 E 1.
(2) Notamment à partir des inventaires après décès de musiciens.
(3) Ce patronyme était usuellement orthographié Maylet, voire Mahilet.

[ Modifié: samedi 21 novembre 2020, 16:49 ]