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par Le Paleoblog, mardi 29 mai 2018, 10:41
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À l’image du pont de bateaux, les quais de Rouen sont un espace de l’entre-deux qui voient se développer des activités interlopes et criminogènes. Prenons l’exemple d’un crime commis sur les quais en mars 1651. À l’occasion de cette procédure, le voiturier Guillaume Aleaume est accusé de violences, « avec injures et grand scandale », envers le sergent Sebastien Descambosc.


Ce dernier souhaite alors placer une caisse de savon, qui n’avait pas encore fait l’objet d’une taxation, sous la garde du voiturier. Or, ce dernier aurait alors demandé « as-tu de l’argent pour me payer ? ». Malgré les protestations du sergent, affirmant être en mesure de régler cette charge, Guillaume Aleaume aurait entraîné un attroupement en refusant la garde et en déclamant « va t’en à La Bouille » ! Par la suite, le sergent est molesté par la foule « par forme de risée ». Déjà, en janvier de la même année, Nicollas de Bouelle, le serviteur de Guillaume Aleaume, était accusé d’homicide envers Pierre Duchesne, probablement domestique lui aussi. Cette affaire, parmi d’autres, révèle l’importance des personnels dédiés à la gestion et au maintien de l’ordre dans cet espace spécifique. Ainsi, l’administration de la police sur les quais ne relève – en théorie – que de la vicomté de l’eau.

Or, que signifie cette expression « va t’en à La Bouille » ? Il faut consulter l’interrogatoire du voiturier pour en comprendre tout son sens. Renvoyant à la paroisse de La Bouille, située à 25 km de Rouen, cette expression signifierait « va te faire foutre » et a été reprise en cœur par la foule, afin de se moquer du sergent.

 

Baptiste Etienne

 


Sources :
- Archives Départementales de Seine-Maritime, 6 BP 138, Vicomté de l’eau, acte du 22 mars 1651; « Pour violence commise à Sebastien Descambosc, sergent de la viconté de l’eaue sur lesquels par des voituriers et brouettiers », acte du 3 mars 1651; « Comparence personnel pour crime commis sur le quay », acte du 18 mars 1651 ; « Minutte de contumace à baon contre François de Bouelle pour homicide », 1651

[ Modifié: samedi 21 novembre 2020, 16:52 ]

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Cette carte du réseau d’hébergements par rues présente des perspectives intéressantes quant à l’implantation des hôtels dans une ville de l’importance de Rouen au milieu du XVIIe siècle. Nous connaissons la rue, la place ou la proximité d’un établissement public dans 102 cas contre seulement 82 sites d’accueil pour lesquels la paroisse est identifiée.

Un premier maillage en forme d’étoile se dessine, avec des auberges situées sur les principales artères donnant aux portes de la ville. Comme dans le cas Rennais, la localisation de ces établissements répond à la vocation de carrefour de Rouen, croisement dont les axes principaux sont signifiés par les portes. Un second maillage, plus dense dans le centre-ville, offre une répartition focalisée majoritairement dans la partie nord du Castrum et dans le quartier Beauvoisine. Saint-Martin-sur-Renelle connait la plus grande agrégation d’établissements, soit une vingtaine d’auberges en activité sur une période d’une cinquantaine d’années.

La proximité du palais de justice attire environ vingt-cinq sites comme en témoignent les cinq établissements localisés « proche le Parlement ». S’ajoutent les six autres de la rue Saint-Lô et en particulier celle du Lion Rouge. En janvier 1650, le tavernier et hôtelier de cet établissement est convoqué au bailliage dans le cadre d’un procès contre les pâtissiers-oublayers pour avoir congelé des saucisses achetées au Vieux Marché. Une vingtaine d’autres sites se concentrent dans un rayon de 100 mètres, dont onze sont localisés dans la rue Percière de la paroisse Saint-Martin-sur-Renelle. Un troisième maillage est identifiable à proximité des quais. Cet espace permet l’implantation d’une dizaine d’autres hôtels avec une répartition plus éparse. Les quais et la porte sont essentiellement marqués par l’activité fluviale et les conflits, comme en témoigne l’agression, un après-midi d’août 1650, du poissonnier Jean Golain. Alors qu’il pêche près de sa boutique, celui-ci est attaqué par trois inconnus armés d’épées et de « croq de fer ».

Dans les faubourgs, Saint-Gervais, Saint-André et Saint-Sever, se partagent un minima de six auberges, alors que celui de Saint-Paul est bien moins attractif. Comme dans le cas de Lyon, ces espaces jouent un rôle de sas, en offrant une solution de repli aux voyageurs qui trouvent les portes de la ville closes. L’ensemble de ces établissements hôteliers qui scandent l’espace et offrent de nombreux points de rencontre se situe principalement aux extrémités et dans le voisinage de lieux fréquentés.

Baptiste Etienne

[ Modifié: samedi 21 novembre 2020, 16:51 ]

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par Le Paleoblog, mardi 29 mai 2018, 10:32
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Nous avons tous remarqué au bas des actes produits aux XVIe et XVIIe siècles des signatures d’une grande diversité : parfaitement maîtrisées et pourvues de savants paraphes pour les lettrés, plus souvent assez hasardeuses pour la majorité de la population, ou parfois réduites à de simples croix pour les illettrés. Mais quel que soit leur niveau d’alphabétisation, certains de nos ancêtres se singularisaient au moyen d’une marque professionnelle. Il s’agissait d’une représentation graphique – et souvent codifiée – du métier qu’ils exerçaient. Ainsi, un joueur de violon faisait-il suivre sa signature du dessin d’un violon, ou un maître chapelier esquissait-il un chapeau. Certaines de ces représentations sont fort abouties, et témoignent même d’un réel sens artistique.

Ces marques professionnelles semblent avoir connu leur essor aux XVIe et XVIIe siècles. En effet, on en rencontre de nombreux exemples dans les archives notariales entre 1550 et 1650, ainsi que dans les registres paroissiaux, les archives judiciaires, etc. Mais il faut noter qu’antérieurement à cette période, les particuliers apposaient assez rarement leur signature ou leur marque au bas des actes, le curé, le notaire ou l’homme de loi qui rédigeait l’acte se portant seul garant de leur présence. Au XVIIIe siècle, les marques professionnelles se font beaucoup plus rares, sans doute en raison de l’élévation du niveau d’alphabétisation ou, peut-être, par peur d’être assimilé à un illettré ?

Certaines de ces marques étaient très codifiées. Les boulangers dessinaient classiquement une pelle à enfourner, les serruriers une clé, les maçons une équerre ou un fil à plomb, les potiers un pot, les tailleurs d’habit une paire de ciseaux, les maréchaux-ferrants un fer à cheval, etc.

À titre d’exemple, j’ai reproduit ci-dessus quelques-unes des marques professionnelles les plus significatives parmi toutes celles que j’ai rencontrées dans les archives notariales de Meaux (Seine-et-Marne), aux XVIe et XVIIe siècles.

Bien représentées dans tous les types d’archives et dans toutes les régions, ces marques professionnelles mériteraient assurément une étude typologique approfondie.

Jean-François Viel

[ Modifié: samedi 21 novembre 2020, 17:02 ]

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Pour comprendre la finalité de cet acte, il faut préciser que ces joueurs d’instruments ne disposaient localement d’aucune structure corporative particulière, et ne pouvaient donc s’appuyer sur un règlement ou des statuts professionnels pour exercer leur métier. Ils accomplissaient leur apprentissage chez un maître joueur d’instruments (nombre d’entre eux étaient fils de maître), et étaient reçus à la maîtrise par un « roi des joueurs d’instruments tant hauts que bas de ce royaume », siégeant à Paris, ou, le plus souvent, par l’un de ses lieutenants locaux.

Ici la totalité des joueurs d’instruments de la ville s’associent. En fait, huit d’entre eux exerçaient depuis longtemps déjà leur activité, mais l’arrivée d’un nouveau musicien (Pierre Garnier) dans leur communauté leur donne l’occasion de redéfinir plus précisément les règles de la pratique collective. Le gros de leur activité était de « sonner de leurs instruments » à l’occasion des noces, qui s’étalaient sur plusieurs jours (« jour, veille et lendemain »), tant à Meaux même que dans les villages environnants. Ils animaient également les fiançailles, les fêtes des confréries, les carnavals et mascarades, et étaient parfois engagés à l’occasion de la fête patronale d’une paroisse urbaine ou rurale, malgré les réticences du clergé. Les instruments utilisés n’apparaissent pas dans cet acte, mais ils sont connus par d’autres documents(2) : poches, violons, altos, violoncelles, contrebasses, hautbois, flûtes traversières, musettes et cornets à bouquin. L’activité des joueurs d’instruments était peu rémunératrice, et tous exerçaient parallèlement une autre profession ; certains étaient cabaretiers, mais la plupart avaient un métier en rapport avec les vêtements : drapiers, chaussetiers, tailleurs d’habits.

Ce contrat d’association stipule que tous les deniers qui proviendront de l’activité commune seront répartis équitablement. Seule l’activité de « monstrer à dancer » est exclue du partage des gains, de même que la participation individuelle aux fiançailles ou jusqu’à deux musiciens aux mascarades. Ceux qui contreviendront à ces dispositions se verront infliger une amende de trois livres tournois et demie.

Mais la disposition la plus étonnante de ce document en une clause d’assistance aux musiciens malades : « Plus est accordé que sy aulcun d’eux est detenu en infirmité de maladie, il aura sa part à ce qui se gaignera par l’espace de trois mois ». Une forme d’assurance maladie, en quelque sorte !

Le contrat est signé en présence d’un joueur d’instruments de la ville de Coulommiers, ce qui indique que les liens entre les communautés ménétrières étaient assez resserrés d’une ville à l’autre. On note que sur les dix musiciens présents, sept ont apposé leur signature accompagnée d’un paraphe avec, pour certains d’entre eux, une réelle maîtrise de l’écriture. Les trois autres, illettrés, se sont contentés de dessiner un archet.

Jean-François Viel

 

Transcription intégrale :
« Du jeudy quatriesme febvrier M VIC dix

avant midy en l’hostel dudict Jehan Maillet(3),

« Furent presens en leurs personnes Pierre Boujon, Jacques Postol, Jehan
Juneau, Jehan Maillet, François Postolle, Nicolas Vigneron, Pierre
Jovin dit Duchesne, Pierre Garryer et Jehan Garnier,
tous joueurs d’instrumentz demeurans à Meaux, lesquelz voluntairement ont promis
et promectent l’un à l’aultre estres compagnons ensemble leur vie
durant en l’estat et exercice de joueurs d’instrumentz,
de sonner et jouer ès nopces, jour & landemain, et batons
de confrairies tant en la ville que aulx champs, & tous les
deniers qui en proviendront tant en general qu’en particulier
que toutes faveurs provenantz desdictz instrumentz se partiront
egalement entre eux. Plus est accordé que sy aulcun d’eux est
detenu en infirmité de maladie, il aura sa part à ce
qui se gaignera par l’espace de trois mois, comme
aussy que s’il est trouvé que quelqu’un d’entre eux ne
rapporte justement et fidellement ce qui se gaignera, paiera
l’amande de LX st. X d. une fois paier(a). Et oultre est
accordé que ceux qui monstreront à dancer ne seront tenuz de rapporter
aulcuns deniers ne faveurs qu’ilz en recepvront pour leurs
sallaires(b). Et sy ne sera tenu faire aulcun rapport de ce
que chascun d’eux pourront gaigner aux mascaraddes,
pourveu qu’ilz ne soient plus de deux joueurs, mais s’ilz
sont jusques à trois & audessus, rapporteront fidellement
à la communaulté ce qu’ilz auront receu. Comme
aussy sera subject à rapport ce quy sera gaigné au fiencées,
pourveus qu’ilz soient deux joueurs et ung seul ne raportera
riens(c). Semblablement se rapportera à icelle communaulté
tout le proffict et gain que chascun d’eux auront à toutes
nopces, veilles & landemain(d). Pour assurer ce que dessus,
les susnommez ont accordé et promis l’entretenir et accomplir
affin de vivre en paix & amitié ensemble, accordans lesdictz
Boujon, Postolle, Juneau, Maillet, Postolle, Vigneron, Jovin et

Garryer que ledict Jehan Garnyer entre en leur communaulté,
y entrant par ces presentes, après qu’il leur a paié
les faveurs accoustumez & les vins deppancés en faisant
la presente association(e). Dont etc. promectans etc. obligeans biens etc. renonceans etc.
Faict presences de Haymond Cabry, maistre joueur d’instrumentz demeurant à Coulomiers, et
Jacques Musault, clerc à Meaux, tesmoings, les an et jour que dessus. »

[Ainsi signé : marque dudict Jehan Juneau (un archet) / marque dudict Pierre Boujon (un archet) / J. Postolle, avec paraphe / Jehan Maylet, avec paraphe / Pierre Jauvain, avec paraphe / marque dudict Vigneron (un archet) / P. Garryer, avec paraphe / J. Garnyer, avec paraphe / F. Postolle, avec paraphe / H. Cabry, avec paraphe / Leroy, notaire, avec paraphe/ Mussault, tesmoing, avec paraphe.]

Renvois :
(a) au proffict de ladicte communaulté.

(b) hors mis les gains qui ne se rapporteront.
(c) pourveu qu’il n’y ayt que luy quy joue ledict jour, et s’il y en a d’aultres, tous rapporteront.
(d) et sy a esté accordé que ceux qui reffuzeront à aller aux champs, chascun à leur tour, n’auront aulcune part à ce qui sera receu, ains ladicte part appartiendra à la communaulté.
(e) Comme aussy a esté accordé que ledict Garnyer ne prendra et n’aura aulcune part aux deniers & choses promis pour les nopces marchandées jusques à huy, mais bien aura sa part de ce quy se marchandera sy après.

_____
(1) Archives départementales de Seine-et-Marne, minutes de Me Jean Leroy, notaire royal à Meaux, 145 E 1.
(2) Notamment à partir des inventaires après décès de musiciens.
(3) Ce patronyme était usuellement orthographié Maylet, voire Mahilet.

[ Modifié: samedi 21 novembre 2020, 16:49 ]

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