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Ce blog a pour objectif de vous faire partager les découvertes, les coups de cœur et les astuces de deux paléographes professionnels passionnés par leur métier.
Bibliothèque nationale de France, Allemand 211
Le recours à l’adoption – phénomène peu reconnu par les juristes de l’époque – existait pourtant bel et bien sous l’Ancien Régime. Il était favorisé par divers facteurs : la volonté de la part de certains nobles sans enfants de poursuivre leur lignage ; un nombre important d’abandons d’enfants ; une mortalité infantile qui privait parfois des couples de tous leurs enfants, et donc d’héritiers susceptibles de les soutenir dans leur vieillesse ; une mortalité de parents encore jeunes qui laissaient derrière eux des orphelins ; un grand nombre de « familles recomposées » à la suite de remariages de veufs et veuves, qui produisaient des fratries disparates et des laissés pour compte.
Les formes que pouvait revêtir l’adoption étaient alors diverses. Jean-Pierre Gutton[1] en a dressé la liste suivante :
· adoptions par les hôpitaux : les recteurs de l’hôpital deviennent les pères adoptifs d’orphelins légitimes ;
· adoptions par des particuliers (souvent la nourrice et son mari) d’enfants abandonnés des hôpitaux ;
· affiliations réglées par actes notariés (contrats de mariage, testaments etc.) : un homme âgé s’attache un adulte plus jeune qui pourra exploiter ses terres, lui donner des héritiers, relever son nom ;
· donations d’enfants entre particuliers, réglées par un acte notarié spécifique.
C’est de cette dernière catégorie d’adoption, la donation d’enfant, qu’il sera question ici.
Nous sommes dans la région de Neufchâtel-en-Bray, en Normandie, au milieu du XVIe siècle (1545). Un hobereau[2] vivant au hameau de Pierrepont, près de Grandcourt, Raoul de Bergny, avait eu une douzaine d’années plus tôt, vers 1533 – d’une femme dont le nom ne nous est pas connu – une bâtarde prénommée Cardine. Afin de subvenir aux besoins de cette enfant illégitime, il l’avait placée chez un couple nourricier du village proche de Lucy, Jean Lefèvre et Guillemette Léger.
L’enfant, qui avait ainsi déjà vécu 10 à 12 ans à Lucy en 1545, avait sans doute tissé des liens privilégiés avec le couple nourricier. Quoi qu’il en soit, le sieur de Bergny et le couple Lefèvre décident en commun, en cette même année, de procéder à une « donation d’enfant » : Raoul de Bergny donne sa fille bâtarde Cardine à Jean Lefèvre et à sa femme Guillemette Léger, qui la prennent « à leur fille adoptive » et s’engagent à l’entretenir à leurs frais et à lui fournir un pécule lorsqu’elle s’établira par mariage[3].
Cette solution n’offre que des avantages pour toutes les parties. Le sieur de Bergny se trouve ainsi « lavé de sa faute », et n’a plus l’obligation de subvenir à l’entretien de sa fille bâtarde. Cette dernière continue à être logée, nourrie et vêtue à Lucy, recouvre la faculté de succéder à ses nouveaux parents[4], et se voit pourvue d’une petite maison et dépendances dont elle aura la jouissance lorsqu’elle se mariera. Enfin, le couple Léger peut espérer d’être soutenu par sa fille adoptive et son gendre lorsque le temps de la vieillesse sera arrivé.
On peut enfin supposer, outre toutes ces considérations matérielles, que cette adoption officialise les liens familiaux qui s’étaient créés au fil des ans entre les parents nourriciers et la petite Cardine.
Transcription
« Du
[en blanc][5]
d'apvril aprez Pasques mil
VC XLV, devant ledict notaire[6].
« Fut
present noble homme Raoul de Bergny,
escuier, demourant
à
Pierrepont prez Grancourt[7], lequel confessa
avoir
donné par adoption et par ces presentes donne
à
Jehan Le Fevre et Guillemete [en
interligne : Leger], sa femme,
demourans
en la paroisse de Lucy[8], ou lieu nommé les
Lignerieulx,
presens, et lesquelz confesserent
avoir
prins et recongnu Cardyne, fille [biffé : dudict] [en
interligne : bastarde]
dudict
de Bergny, à leur fille adoptive.
Laquelle ilz
ont
promis tenir avec eulx, icelle [biffé : te] entretenir
bien
et honnestement et chausser et vestir, nourrir,
coucher
et lever, et la pourvoir par mariage
où
bon leur semblera, et luy donneront
de
leurs biens ou heritages, scelon le lieu
où
ilz la pourront pourveoir, en luy fournissant
aussi
de ses habillemens, atroussellemens[9]
et
aultrez choses qu'il convient bailler à fille
qui
se [biffé : veult] marie. Ou en lieu de tout
ce
que dessus, si fournir n'y peuvent, ilz luy ont
promis
donner et luy donnent dès à present, [biffé : une] tant
en
faveur de son mariage et affin qu'elle puisse
y
parvenir [biffé : aussi], que pour remuneration des
agreables
services que ladicte fille leur a faictz puys
dix
ou douze ans en ça, c'est assavoir une maison,
masure,
jardin et heritage, le tout contenant une acre[10]
ou
environ, assis en ladicte paroisse de Lucy, tenue de la sieurie[11]
du
lieu, bournée d'un costé audict Le Fevre,
d'aultre costé Jehan Danne,
d'un
boult la forest du Roy, et d'aultre boult audict Le Fevre,
[biffé
: laquelle] lequel heritage icellui Le
Fevre a dict avoir
puis
nagueres acquis de [biffé : Noel Cardon]
[en interligne : Thomas Le Doulx],
jouxte[12] les lectres
qu'il
en dict avoir et porter et desquelles ilz promistrent[13]
saisir
ladicte fille, sondict mariage advenant, pour
d'icelluy
heritage jouyr par elle et ses hoirs comme
de
son propre et vray heritage, en payant les rentes
qui
deubz en sont à ceulx qu'il appartiendra et aux
termes
accoustumez, avec les droictz etc., aquerir
la
jouissance d'icelluy heritage du jour de ses espouzailles.
Dont
et desquelles choses lesdictes parties et chacune d'icelles
se
sont tenus à contens [biffé : Prometans] [en interligne :
Et à tout ce que dessus] tenir etc.
ilz obligerent chacuns biens etc. jurerent etc.
presens etc. »
[1]
Jean-Pierre Gutton, Histoire de
l’adoption en France, Paris (Publisud), 1993. – Article
« Adoption » in Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris (PUF),
1996, p. 34-36.
[2] Hobereau :
gentilhomme de petite noblesse vivant sur ses terres.
[3] AD76, 2
E 14/1189, 11 ou 12 avril 1545 après Pâques.
[4] Les
enfants illégitimes ne pouvaient succéder à leurs parents naturels.
[5] Le 11 ou
le 12 avril 1545, d’après les actes immédiatement antérieur et postérieur.
[6] Me
Nicolas Hocquelon, notaire royal à
Neufchâtel-en-Bray.
[7]
Pierrepont (76660 Grandcourt).
[8] Lucy
(76270).
[9] Atroussellement :
trousseau.
[10] Acre :
ancienne mesure de superficie.
[11] Sieurie :
seigneurie.
[12] Jouxte :
conformément à, selon, suivant.
[13] Ils
promistrent : ils promirent.
Les archives ne sont pas qu'un ramassis de vieux papiers poussiéreux, comme en témoigne cette copie manuscrite du XVIIIe siècle de l'énigmatique Carte de Tendre, d'auteur inconnu mais issu des papiers des familles
Castelain-Mahieu et actuellement conservée au service Patrimoine de la Médiathèque Jean Lévy à Lille (Ms C5). Inventée probablement par plusieurs personnalités au XVIIe siècle, cette carte est une représentation allégorique de la vie amoureuse, telle qu'elle est perçue par le mouvement des Précieuses. Elle s'accompagne d'un texte – reproduit intégralement dans sa version d'époque – qui varie d'une version à une autre. Celui-ci évoque une vision de la tendresse et des
sentiments, sans forcément d'imprégnation à connotation religieuse et gardant certaines
distances avec la dimension salace... en mettant en avant que la seule passion acceptable est celle des "nobles sentiments que l'homme peut éprouver".
Par l'allégorie, visible dès la première lecture, la carte ordonne et hiérarchise les rapports humains d'un point de vue subjectif. Toutefois, lorsqu'on analyse ce type de document, il faut garder à l'esprit que la pure amitié et l'amour platonique n'étaient pas nécessairement un idéal partagé par toutes les précieuses. En outre, au cours du temps, la carte a été abondamment critiquée pour sa dimension allégorique qui s'éloigne d'une approche classique et sur le fond par les auteurs libertins. Tant et si bien que, pour se protéger des critiques, Madeleine de Scudéry (1607-1701), souvent considérée comme à l'origine de cette représentation, a préféré en réduire la portée puisqu'elle déclara que la Carte de Tendre n'est que le fruit d'une demi-heure d'attention.
De quoi laisser libre cours à notre réflexion sur nos relations sociales actuelles, plus de deux siècles plus
tard... et pour cause, le Siècle des Lumières marque un tournant remarquable dans l'expression des sentiments. Si les décennies précédentes avaient valorisé la figure idéale d'un amour vertueux, le bouillonnement intellectuel du XVIIIe siècle apporte une critique de la figure amoureuse et un enrichissement du concept. Connue comme l'époque où le libertinage est perçu comme un idéal, ce texte – par bien des aspects –
fait preuve d'un certain conservatisme et d'un raidissement des mœurs perceptible à la veille de la Révolution. Voir ressurgir un tel document à ce moment précis est intéressant. Déjà, dans Les Précieuses ridicules (scène IV du premier acte), Molière (1622-1673) cite cette carte par dérision :
« En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose. Le moyen de bien recevoir des gens qui sont tout-à-fait incongrus en galanterie ? Je m’en vais gager qu’ils n’ont jamais vû la Carte de Tendre, et que Billets Doux, Petits Soins, Billets Galants et Jolis Vers, sont des terres inconnuës pour eux »
Certains auteurs, comme Voltaire (1694-1778), voient essentiellement la satisfaction des besoins dans l'amour, mais l'idée que la personne aimée fasse l'objet d'un choix intime existe en parallèle. À cette époque, l'expression des sentiments offre donc une tableau extrêmement contrasté. De même, les manifestations sensibles de l'amitié s'intensifient et s'extériorisent : tendresse, embrassades, serrements de mains, larmes et effusions. La notion d'amitié interprétée comme utilitariste et imbriquée dans des réseaux telle qu'elle est perçue au XVIIe siècle s'éloigne au profit d'une passion forte et légitime, objet de réflexions philosophiques nouvelles.
Ce sentiment malléable et fluctuant a attiré l'attention des philosophes de l'Antiquité sous le nom de philia, durant l'époque médiévale l'amitié est intégrée à l'amour divin, alors que pour Montaigne (1533-1592) durant la Renaissance le mythe millénaire du couple d'amis ressurgit. Le Siècle des Lumières est celui du sentiment d'amitié, exprimé de manière sensible à travers les salons et les traités.
Description de la carte de Nouvelle Amitié à Tendre, 1783
Pour aller de Nouvelle Amitié à Tendre, il faut commencer son voyage à Nouvelle Amitié, première ville qui est au bas de la carte, pour aller aux autres, c'est-à-dire qu'on peut avoir de la Tendresse par trois causes différentes :
– ou par une Grande Estime,
– ou par Reconnoissances,
– ou par Inclination.
C'est pourquoi les trois villes de Tendre sont sur trois fleuves différents qui portent trois noms. Ce sont aussi trois routes différentes pour y aller, si bien comme on dit Cumes sur la mer d'Ionce et Cumes sur la mer Thyrienne, elle fait qu'on dit Tendre sur Inclination et Tendre sur Estime et Tendre sur Reconnoissance.
La Tendresse, qui nait par Inclination, n'a le soin de nul village, le long des bords de ce fleuve, qui va si vite qu'on n'a point besoin de logement le long de ses rives pour aller de Nouvelle Amitié à Tendre, mais pour aller à Tendre
sur Estime, il n'en est pas de même car il y a autant de village qu'il y a de petites et grandes choses qu'ils peuvent contribuer à faire naitre par Estime cette Tendresse.
En effet, l'on voit que de Nouvelle Amitié on passe en un lieu qu'on appelle Grand Esprit, parce
que c'est ce qui commence ordinairement l'Estime, ensuite on voit ces agréables villages de Jolis Vers, de Billet Galant et de Billet Doux qui sont les
opérations les plus ordinaires du Grand Esprit dans le commencement d'une Amitié. Ensuite, pour faire un plus grand progrès dans cette route vous voÿez Sincérité, Grand Cœur,
Probité, Générosité, Respect, Exactitude et Bonté qui est tout contre Tendre pour faire connoitre
qu'il ne peut avoir de véritable estime sans Bonté, qu'on ne peut arriver à Tendre de ce côté là, sans
avoir cette précieuse qualité. Après cela, il faut s'il vous plait à Nouvelle Amitié pour voir par quelle route on va de là à Tendre
sur Reconnoissance, il faut aller d'abord de Nouvelle Amitié à Complaisance. Ensuite à ce petit village qui se nomme Soumission et qui en touche un autre fort agréable qui s'appelle Petit Soin. De là, il faut passer par Assiduité pour faire entendre que ce n'est pas assez d'avoir, durant quelque jours, tous ces Petits Soins obligeants qui donnent tant de Reconnoissance,
si on ne les a assiduement.
Ensuite, il faut passer par un autre village qui s'appelle Empressement et ne pas faire comme certaines gens tranquilles et qui ne se battent pas d'un moment, quelque priere qu'on leur fasse et qui sont incapable d'avoir cet empressement qui oblige quelque
fois si fort. Après cela, il faut passer à Grands Services et pour marquer marquer (sic) qu'il y a peu de gens qu'ils en rendent de tels. Ce village est plus petit que les autres. Ensuite, il faut passer à Sensibilité, pour faire connoitre qu'il faut sentir jusqu'aux plus petites douleurs de cœur qu'on aime.
Après, il faut pour arriver à Tendre passer par Tendresse, car l'amitié attire l'amitié. Ensuite, il faut aller à Obéissance n'y ayant presque rien qui engage plus le cœur de ceux à qui on obéit que de le faire aveuglément et pour arriver, enfin, où l'on veut aller, il faut passer à Constante Amitié qui est,
sans doute, le chemin le plus sur pour arriver à Tendre sur Reconnoissance, comme il n'y a pas de chemin où l'on ne se puisse égarer.
Si ceux qui sont à Nouvelle Amitié prenoient un peu plus à droite ou un peu plus a gauche, ils s'égareroient aussi, car si au partir de Grand Esprit on alloit à Négligence que vous voyez sur la carte, qu'ensuite continuant à cet égarement on alloit à Inégalité, de là à la Tiédeur, à Légèreté et à Oublie. Au lieu de se trouver vers Tendre sur Estime, on se trouveroit au Lac d'Indifférence que vous voyez marqué sur la carte et que par ses eaux tranquilles représentent la chose dont il porte le nom en cet endroit.
De l'autre côté, si au partir de Nouvelle Amitié on prenoit un peu trop à gauche et qu'on allat à Indiscretion, à Perfidie, à Orgueil, à Médisance ou à Méchanceté au lieu de se trouver à Tendre sur Reconnoissance, on se trouveroit
à la Mer d'Inimitié, où tous les vaisseaux font naufrage et que par l'agitation de ses vagues convient fort juste avec cette impetueuse passion.
Ainsi, on voit par ces routes différentes, qu'il faut avoir mille bonnes qualités pour acquérir une Amitié Tendre et que ceux qui en ont de mauvaises ne peuvent acquérir que la Haine ou l'Indifférence. Ainsi, pour faire connoitre sur cette carte qu'on ne peut acquérir l'amour ou la Tendresse de cœur des autres, on fait que la Rivière d'Inclination se jette dans une qu'on appelle la Mer Dangereuse parce qu'il est assez dangereux d'aller un peut au delà des dernieres bornes de l'Amitié et, ensuite, au delà de cette Mer, on trouve un pas qu'on appelle Terres Inconnuës, parce qu'en effet nous ne savons pas ce qu'il ÿ a et que nous ne croions pas que personne ait été plus loin qu'Hercule.
De sorte que, de cette
façon, on trouve lieu de faire une agréable morale d'amitié par un simple peu d'esprit. 1783
Cyrille Glorieus
Références :
- Muriel Bassou, Représentations et pratiques de l'amitié : du cercle au jeu, du don à la collaboration, thèse de littérature, Université de Grenoble, 2011 (en ligne)
- Claude Filteau, « Le Pays de Tendre : l'enjeu d'une carte », Littérature, n° 36, 1979, p. 37-60 (en ligne)
- Luisa Messina, « L’amour au Siècle des lumières – Essor et fin des libertins », Revue des sciences sociales, n° 58, 2017, p. 40-45 (en ligne)
- Pièces choisies de Molière – à l'usage des écoles, Édimbourg : R. Fleming, 1744, p. 5
- Sylvie Mouysset, « De mémoire, d'action et d'amour : les relations hommes/femmes dans les écrits du for privé français au XVIIe siècle », Dix-septième siècle,
n° 244, 2009, p. 393-408 (en ligne)
- Marie-Christine Pioffet, « Esquisse d'une poétique de l'allégorie à l'âge classique – La glose de l'abbé d'Aubignac », Études littérairess, vol. 43, n° 2, 2012, p. 109-128 (en ligne)
- Wolfgang Schmale, « Se révolter pour la fidélité : paysans en Saxe électorale (1648-1756) », dans Foi, fidélité, amitié en Europe à la période moderne – Mélanges offerts à Robert Sauzet,
Tours : Presses universitaires François-Rabelais, 1995, p. 511-518 (en ligne)
- Guillaume Sciaux, « La carte du Tendre », article du site pacha-cartographe.fr, 2014 (en ligne)
- Id., « Jouer, penser, aimer sous l'Ancien Régime (XVIIe-XVIIIe siècle) »,
dans Storia Voce, émission présentée par Christophe Dickès, 2020 (en ligne)
- « Arrêt sur... L'avènement de l'individu »
, BnF
, exposition sur les "Lumières!" (en ligne
)
L’une des grandes difficultés que rencontre quotidiennement le paléographe – de même que l’historien – est d’interpréter avec justesse le sens des mots qu’il a lus. Pour ce faire, et éviter tout contresens dommageable, il doit se débarrasser de ses références culturelles d’homme ou de femme du XXIe siècle, et se mettre dans l’état d’esprit de l’auteur du texte, c’est-à-dire dans le contexte culturel de l’époque de cet auteur ; dans le sillage de Lucien Febvre, les historiens parlent d’outillage mental. La tâche est parfois difficile et les erreurs d’interprétation sont hélas toujours possibles. D’autant que le sens de nombre de mots a évolué, générant de fâcheux « faux-amis ».
Prenons l’exemple d’une personne qui rencontrerait le mot « amour » dans un acte notarié de l’Ancien Régime et penserait être confrontée à la « violente passion que la nature inspire aux jeunes gens de divers sexes » (Furetière)[1].
Hélas pour le romantisme, le mot « amour » qui se relève assez régulièrement dans les austères formules juridiques des actes notariés, voire même dans les plumitifs des cours de justice de l’Ancien Régime, n’a rien à voir avec la belle définition de Furetière. Au début de l’époque moderne, « amour » avait certes déjà le sens que nous lui connaissons aujourd’hui. Mais, tout comme en latin (amor, oris, m.), il avait également une autre acception bien plus nuancée, celle d’une simple affection pour quelqu’un (amitié) ou pour quelque chose (intérêt, attrait). Le Dictionnaire Godefroy[2], en donne la définition suivante :
« Pour l’amour de quelqu’un, par la considération, par l’estime, par l’affection qu’on a pour quelqu’un. »
Ce sens d’amitié simple s’était certes déjà perdu dans la langue courante de la fin du XVIIe siècle, au profit de notre définition actuelle. Il serait ainsi vain de rechercher dans un dictionnaire du Grand Siècle le sens ancien de ce mot. Mais il ne faut pas perdre de vue que la langue juridique a toujours été particulièrement conservatrice, et qu’au XVIIIe siècle encore, le mot « amour » était toujours utilisé dans les actes notariés dans son sens désormais vieilli.
À titre d’illustration, voici l’extrait d’un inventaire après décès parisien du début de l’année 1548 (n. st.), où il est question d’une donation faite un siècle plus tôt par « Charles de Mornay pour la bonne amour naturelle qu’il avoyt à Philbert Bastard de Mornay, son cousin ». Notons au passage qu’au singulier, le mot « amour » était toujours du genre féminin dans les textes de l’époque moderne.
du XXIIIIe jour d’aoust mil IIIIC XLIX, par lequel appert
Charles de Mornay, pour la bonne amour naturelle
qu’il avoyt à Philbert Bastard de Mornay, son
cousin, luy avoir donné l’hostel appellé l’hostel de
Guigneville avec toutes les terres, prez, boys, cens,
rentes, fiefz, arrieres fiefz, la justice qui y
appartient, ensemble tous les aultres droictz
quelzconques qui y appartiennent, ainsy que plus à plain
appert par lesdictes lectres, inventorié au doz……VIxxXIX. »
Eu, 3 septembre 1580, AD76, 2E14/744
…« Ceste donation faicte
pour la bonne amour naturelle que ledict donneur
porte ausdictes filles »…
Eu, 12 décembre 1596, AD76, 2E14/865
du Sauchoy a esté par eulx aussy dict et declaré
que pour la bonne amour qu’ilz ont à ladicte
damoizelle Ysabeau Le Goix et en consideration
de sondict mariage, qu’ilz luy avoient et ont par ces
presentes donné, ceddé, quicté et transporté »…
Sont également concernés les testaments, où des legs particuliers pouvaient être consentis par le testateur pour « la bonne amour qu’il porte » à tel parent ou à tel ami. Et encore les transactions, où l’on relève souvent la formule « pour nourrir paix et amour ensemble ».
Cette acception désuète du mot « amour » n’a d’ailleurs pas échappé à Nicolas Buat et Evelyne Van den Neste qui, dans leur excellent Dictionnaire[3], rappellent que ce mot avait, dans les actes notariés, le sens d’affection, de charité civile, et renvoient à l’article amitié.
[1] Antoine Furetière, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois, tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts, Rotterdam, 1690, vol. 1.
[2] Frédéric Godefroy,
Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle
, Paris, 1895, tome VIII, Complément 1, p. 111, col. 3.
[3] Nicolas Buat et Evelyne Van den Neste,
Dictionnaire de paléographie française
, Paris (Les Belles Lettres), 2016, p. 41.
À l’ombre de la cathédrale de Rouen, l’Hôtel-Dieu de La Madeleine est desservi par une double communauté d’hommes et de femmes, placés sous la direction d’un prieur. Dès le XIIe siècle, il prend le nom de prieuré de La Madeleine et s’étend
progressivement jusqu’à l’incendie de 1624 qui permet de mieux comprendre son fonctionnement grâce à l’état des lieux qui en découle.
Le vendredi 13 septembre, un incendie se déclenche avec « grande force et abondance » et ravage l’établissement
en raison de l’inattention d’un épicier. L’incendie reste actif six jours consécutifs et « donna beaucoup d’espouvente aux pauvres qui estoitz dans la feurrerie qui comblez de fumée furent (soit couchés, bossus et agonisantz) contraintz de fuir dans
l’aistre de Nostre Dame ».
L'Hôtel-Dieu de La Madeleine de Rouen
Le terme de “feurrerie” est, ici, une variante orthographique de “forrerie”, c’est-à-dire le lieu où l’on stocke le foin. Espace de refuge, l’aitre correspond au parvis ou à un porche couvert de la cathédrale de l’autre côté de la rue. Échappant de peu aux flammes grâce à l’intervention solidaire de religieux Capucins qui s’exposent au feu, la « grande salle des pauvres » mesure 50 mètres de longueur pour 15 mètres de large et peut comporter 80 lits. Accolée à celle-ci s’ajoute une infirmerie de 30 lits, ainsi que trois salles plus petites pour des soins spécifiques. En 1655, on ajoute à l’Hôtel-Dieu reconstruit la salle Saint-Louis à l’est de la rue du Bac et la salle Saint-Charles au sud de la rue de La Madeleine, signe de besoins croissants. Situé au cœur de la ville, son emplacement est constamment remis en cause par les autorités, à tel point qu’en 1569, l’Hôtel-Dieu se dote d’un terrain servant de « lieu de santé » aux marges de la ville et permettant d’isoler les contagieux ou encore de désinfecter les objets et vêtements contaminés.
En 1654, le Parlement intervient finalement et ordonne la construction d’un nouvel hôpital en dehors des murs et, en mars, les premières pierres sont posées. Celui-ci se compose de deux bâtiments. Le premier est l’hôpital Saint-Louis, destiné aux malades, alors que le second – Saint-Roch – est réservé aux convalescents. De manière générale, l’assistance publique a fait l’objet d’études historiques. Toutefois, si le Moyen Âge et l’époque révolutionnaire ont été explorés de manière plus approfondies peu d’études se concentrent de manière privilégiée sur le Grand Siècle qui dénombre pourtant nombre d’évolutions notables.
Baptiste Etienne
BM Rouen, Ms. M 41, Journal, par Philippe Josse, f° 53
Bibliographie :
- Sébastien LE BRAS, L’Hôpital général et l’assistance à Rouen aux XVIIe-XVIIIe siècles, Mémoire de Maîtrise d’histoire, Université de Rouen, 1993
- Yannick MAREC (dir.), Les hôpitaux de Rouen : du Moyen Âge à nos jours – Dix siècles de protection sociale, Paris : Éditions PTC, 2005
- Jean-Claude VIMONT, « L’hôtel-Dieu de Rouen au cœur d’un espace néo-classique », Mémoire de la protection sociale en Normandie, n° 1, 2002
Pour illustrer l’affaire des possédées de Loudun, rien de mieux que ces signatures du pacte supposé du prêtre Urbain Grandier avec le diable. Tout y est pour faire illusion : une graphie particulière, des fourches et des dessins énigmatiques. Faux grossier, produit en justice, ce document démontre parfaitement la situation ubuesque de ce procès en sorcellerie. L’affaire des possédées de Loudun est, sans doute, l’un des cas les mieux documenté. Celle-ci éclate au cœur de l’épidémie de sorcellerie mis en avant par Hugh Trevor-Roper qui frappe le royaume de France de 1560 à 1650. Ainsi, le cas de Loudun n’est pas sans en rappeler d’autres célèbres, telles que la possession de Marthe Brossier en 1599 ou celles d’Aix (1610-1613) et de Louviers (1633-1647).
Si, progressivement au cours du XVIIe siècle, le rôle joué par les juges dans ce type de procès provoque de plus en plus l’abandon des poursuites, dans les années 1630, nous sommes encore au cœur d’une justice d’exception. Justice d’exception puisqu’elle ne suit pas le cours « normal » d’un procès civil, nous sommes donc confrontés à une situation hors norme. Les problèmes d’interprétations posés par l’histoire de la sorcellerie et de sa répression ne cessent d’interpeller les historiens. La sorcellerie est donc au centre de l’attention des historiens, comme en témoignent les nombreux ouvrages et publications qui se succèdent sur le sujet depuis la publication de Michel de Certeau en 1969. Ainsi, on note le travail conséquent de Robert Mandrou sur le sujet ou encore l’apport de Carlo Ginzburg. Ce dernier voit dans la sorcellerie une formation culturelle organisée autour d’une croyance dans un complot et, il faut bien le souligne, l’affaire de Loudun n’en est pas dénuée. Loudun est ce que l’on peut qualifier une « frontière de catholicité ».
Nous sommes aux confins du Poitou et de la Touraine. Loudun, parfois qualifiée de « deuxième La Rochelle » (bien qu’elle n’ait pas subi le même sort dramatique que le port protestant), est une ville aux fonctions administratives et judiciaires. Il s’agit d’un centre intellectuel, une cité prospère et surtout, elle aussi, est une place de sûreté dans une province marquée par la Réforme. Par ailleurs, cette ville est à proximité de la ville neuve de Richelieu et subit une ponction à cette occasion. Ainsi, Richelieu est édifiée entre 1631 et 1642, elle porte l’empreinte de son fondateur et commanditaire, le cardinal de Richelieu. Conçue suivant le principe de la « cité idéale », elle est basée sur un plan en damier.
Les années 1630 marque donc un profond bouleversement pour la ville et c’est à cette occasion que Jeanne des Anges porte des accusations en sorcellerie suivant un modèle classique. Ainsi, la prieure des ursulines de Loudun jure que le curé de St-Pierre, Urbain Grandier, l’a ensorcelée au même titre que sa communauté. L’affaire locale prend vite un tour national puisque Grandier est ennemi du cardinal Richelieu et celui-ci pousse à la condamnation.
Portrait d'Urbain Grandier (1627)
Tout au long de la procédure judiciaire qui va le broyer, Urbain Grandier reste inflexible. Alors même que la décennie 1630 est marquée par les répercussions du siège de La Rochelle qui illustre la volonté royale d’imposer le catholicisme et de rogner les droits accordés par la mise en place de l’Édit de Nantes, ce prêtre cadre mal avec la réforme catholique. Qui est Grandier ? Urbain Grandier n’avait rien pour « entrer dans l’histoire », a priori. Né vers 1590, il n’est qu’un simple prêtre dans une paroisse urbaine d’une ville secondaire du royaume de France. Fils d’un notaire, il est nommé à l’âge de 27 ans comme curé de cette église et devient chanoine de l’église de Sainte-Croix de Loudun, à partir de juillet 1617. Toutefois, Grandier dérange. Ses sermons attirent les foules et son profil de séducteur fait de lui un tombeur de femmes. Il est responsable de la grossesse de la fille du procureur du roi, alors âgée de 15 ans. Il devait seulement lui enseigner le latin et finit par l’abandonner pour se mettre en ménage avec une orpheline, issue de la haute noblesse et destinée à la religion. Grandier construit alors tout un argumentaire, à travers un Traité contre le célibat des prêtres, pour justifier sa conduite. Iconoclaste, il ne peut que se heurter à la position de l’Église engagée dans la Réforme avec le Concile de Trente. S’il est arrêté pour débauche, celui-ci gagne son procès et revient à Loudun.
Démarché par la supérieure du couvent des Ursulines de Loudun, Jeanne des Anges, qui lui propose de devenir le confesseur de la communauté, Grandier se récuse et la supérieure porte son choix sur le chanoine Mignon, ennemi de Grandier.
C’est le début de l’affaire puisque durant une dizaine d’années, le confesseur des Ursulines ainsi que nombre de notables vont s’attaquer à Grandier en multipliant les procédures judiciaires et en s’attaquant aux mœurs du curé. Par ailleurs, celui-ci
s’était aussi montré discourtois envers Richelieu, alors qu’il n’était pas encore cardinal. Toutefois, en lui prenant la préséance lors d’une cérémonie, Grandier s’en est fait un ennemi. Le cardinal l’avait sans doute oublié, mais dans les
années 1630, Richelieu souhaitait faire abattre le château et une partie des remparts et… Grandier s’y oppose publiquement. Mal lui en a pris!
Portrait de Jeanne des Anges
Jeanne des Anges, née Belcier en janvier 1602, est issue d’une famille de petite noblesse de Saintonge. Après un accident de jeunesse, elle demeure handicapée toute sa vie. Dès l’âge de 5 ans, elle subit une instruction religieuse auprès de ses tantes
maternelles, bénédictines à l’abbaye royale de Saintes. Si elle a une instruction rudimentaire, elle maîtrise le latin. Supportant mal les contraintes des règles de Saint Benoît, elle rejoint finalement le noviciat des Ursulines de Poitiers, soumises
à la règle de Saint Augustin, en 1622. Un an plus tard, elle prononce ses vœux et prend le nom de Jeanne des Anges. Sa vie est alors jugée inconvenantes et elle-même en convient puisqu’elle écrit que « j’ai donc passé ces trois années en grand
libertinage ».
En 1627, lorsque le couvent de Loudun est créé, elle fait partie du groupe des fondatrices et parvient à se faire nommer prieure. C’est à ce moment et alors même qu’elle ne connait pas Grandier personnellement, qu’elle en vient
à l’accuser. Pour autant, à la mort de Grandier, les signes de possession ne cessent pas. À partir de la fin des années 1630, la soeur devient de plus en plus pieuse, voire mystique, et tout rentre dans l’ordre dans le couvent. Son accusation
est reprise par nombre d’Ursulines. Au total, neuf religieuses Ursulines seraient possédées ainsi que trois religieuses séculières. À l’image de Jeanne des Anges, toutes accusent Grandier. Poussant des cris, elles appellent le prêtre “leur maître”.
L’interrogatoire de Grandier révèle aussi que « toutes les autres possedées firent des cris et des diableries qu’on ne sçauroit exprimer ». De plus, leur exorcisme en public attire une grande foule qui vient tant pour le spectacle
que pour se faire peur. Au coeur d’une société très cadrée, ces corps qui se déhanchent dans des positions suggestives et l’expression de propos scandaleux ne peuvent qu’éveiller la curiosité. La ville se divise entre partisans de Grandier et
pro possession... l’affaire fait grand bruit!
On peut alors s’interroger quant à l’intérêt de porter de telles accusations pour ces religieuses. Le simple refus de Grandier de devenir confesseur de la communauté ou le cas psychiatrique de Jeanne ne suffisent pas. Or, le couvent est dans une situation financière très délicate. La reconnaissance d’une possession permet à la communauté de bénéficier d’une pension royale conséquente. Et pour cause, durant quelques années, les Ursulines de Loudun ne recrutent plus et n’ont pratiquement plus de donation. Certaines soeurs accusatrices considèrent même que le chanoine Mignon les aurait incitées à enfoncer le prêtre. De plus, cette affaire donne à Jeanne des Anges une réputation exceptionnelle. Officiellement “convertie” en 1637, elle entreprend un tour triomphal du royaume de France l’année suivante. Considérée comme une thaumaturge et une miraculée.
Accusé une première fois, Grandier est acquitté, avant que la procédure ne soit relancée par l’intervention royale. Passé à la question (doux euphémisme pour parler de torture), Grandier fait preuve d’une étonnante résistance. Il ne cesse de nier
les accusations. Néanmoins, cette fois, rien ne peut arrêter le cours de la justice et sa condamnation à mort est inévitable. Un tribunal d’exception sous-entend la certitude de la condamnation et l’affaire de Loudun se déroule donc logiquement.
Le 18 août 1634, le prêtre est envoyé au bûcher après avoir été reconnu coupable.
Les controverses suscitées par l’affaire des possédées de Loudun contribuent puissamment à la mise en cause des procès en sorcellerie en France. Si la ville est déjà menacée par l’accroissement de la concurrente et voisine Richelieu,
son sort s’aggrave encore à partir de l’été 1632 et les scènes de possession du couvent des ursulines. Toute l’affaire est terminée dès 1634, au moment même où l’entrée ouverte dans la guerre de Trente ans devient inéluctable et après la « journée
des dupes ». Cette affaire est l’occasion pour le pouvoir de montrer qu’ils agissent fermement sur le front intérieur, en champions du catholicisme. En somme, la ville de Richelieu, symbole de la puissance du cardinal, devient l’instrument de
la reconquête catholique et doit l’emporter sur Loudun. La décennie 1630 est aussi marquée par un fléchissement de la monarchie sur ses bases puisque l’absence d’héritier mâle ne cesse de favoriser l’émergence de conflits et de complots. D’une
santé fragile, Louis XIII réchappe de la mort à plusieurs reprises et ses relations difficiles avec la reine nourrissent perpétuellement l’espoir des prétendants au trône.
Finalement, l’affaire des possédées, c’est l’incarnation même de l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques. Ce n’est pas sans rappeler le même type de procédés dans le cadre du tribunal de l’Inquisition qui est – à l’occasion
– utilisé pour servir des intérêts commerciaux. Urbain Grandier subit, ici, manifestement une convergence d’intérêts particuliers qui le conduisent directement au bûcher.
En ligne : http://www.bmlisieux.com/galeries/dictinf/dictinf.htm
Bibliographie :
- Annie ANTOINE, « Ville neuve et géographie des pouvoirs : l’intégration de Richelieu dans le système urbain régional et ses conséquences », dans Vivre en Touraine au XVIIIe siècle, 2003, p. 193-303
- Michel CARMONA, Les Diables de Loudun – Sorcellerie et politique sous Richelieu, Paris, 1988
- Michel CARMONA, Sœur Jeanne des Anges : diabolique ou sainte au temps de Richelieu?, André Versaille éditeur, 2011
- Michel de CERTEAU, « Une mutation culturelle et religieuse : les magistrats devant les sorciers au XVIIe siècle », Revue d’histoire de l’Eglise de France, 1969
- Michel de CERTEAU, La possession de Loudun, 1970
- Carlo GINZBURG, Les Batailles nocturnes, Sorcellerie et rituels agraires aux XVIe et XVIIIe siècles, 1980
- ID., Le Fromage et les vers – L’Univers d’un meunier du XVIe siècle, Paris, 1980
- Thérèse GRIGUER, « Historiographie et médecine : à propos de Jeanne des Anges et de la possession de Loudun », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1992, p. 155-163
- Sophie HOUDARD, « La sorcellerie ou les vertus de la discorde en histoire – Réception et influence de Magistrats et sorciers en France au XVIIe siècle », Les cahiers du Centre de Recherches historiques, 1997
- Sophie HOUDARD, « La possession de Loudun (1632-1637) – Un drame social à l’épreuve de la performance », Communications, n° 92, 2013, p. 37-49
- Robert MANDROU, Magistrats et sorciers au XVIIe siècle, Paris, 1980
- Robert MUCHEMBLED, Sorcières, justice et société au XVIe et XVIIe siècles, 1987
- Hugh R. TREVOR-ROPER, De la Réforme aux Lumières, Paris, 1972
Alors, ça y est, c’est le premier anniversaire de Paleo-en-ligne.fr !
Et il est grand temps de faire le point. Ce projet, c’est d’abord une amitié. Celle de deux professionnels – Jean-François Viel et Baptiste Etienne – qui se sont lancés contre vents et marrées dans une aventure en partenariat. Tout est né de l’envie de transmettre notre passion : la paléographie.
Proposer un enseignement digne de ce nom et accessible à tous. Notre rêve, nous l’avons réalisé !
À l’heure actuelle, Paleo-en-ligne.fr c’est deux niveaux d’enseignement (Novices et intermédiaires), trois Paléo+ portant sur des thèmes (abréviations, ligatures et généalogie). Ce sont aussi des exercices adaptés et des corrections détaillées. Bref, nous avons réussi ce que nous voulions : proposer à tous une formation complète et accessible. Sans compter que vous ne trouverez cela nulle part ailleurs !
Paleo-en-ligne.fr
Paleo-en-ligne.fr, c’est aussi une mise à jour du site. Alors bien sûr, le site est “plus beau”, c’est ce que tout le monde peut constater de l’extérieur, mais il est aussi plus rapide et cela nous offre toute une palette d’améliorations pour l’avenir.
Nous nous sommes attelés à mettre en place des tutoriels très complets pour vous permettre de prendre en main facilement notre plateforme. Et c’est sans compter notre service client qui s’est montré à la hauteur chaque jour.
Paleo-en-ligne.fr, c’est encore la mise en place d’un cycle d’initiation gratuit. 12 vidéos et des articles portant sur divers sujets (les abécédaires, la différence entre le s et le f, les petites erreurs à éviter...). En somme, tout un arsenal pour vous permettre de débuter la paléo à votre rythme et depuis chez vous !
Cycle d'initiation
Vous avez pu le constater au cours de l’année écoulée, nous nous sommes efforcés de rester à l’écoute de vos envies et de vos besoins pour améliorer continuellement notre service. Nos outils paléographiques (Glossaire & biblio) ont été développés. C’est ce qui explique la mise en place de gigantesques bases de données.
Celles-ci permettent à tous nos apprenants de chercher eux-mêmes des solutions lorsqu’ils rencontrent des difficultés dans les archives. Des milliers de mots, de lettres, de ligatures, d’abréviations... sont concentrés en un seul endroit. Nous avons aussi créé un glossaire composé déjà de plus de 400 termes et dans lequel nos apprenants peuvent ajouter leurs propres mots et définitions.
Paléographie (Aide bénévole)
Le partage de notre passion, ce n’est pas que Paleo-en-ligne.fr, c’est aussi son extension bénévole avec la création d’un groupe d’entraide sur les réseaux sociaux : Paléographie (Aide bénévole). Inutile de dire que nous avons été surpris par sa réussite ! Des centaines de membres en l’espace de quelques semaines.
C’est véritablement notre petit paradis : de la bonne humeur, de l’humour, de la compétence... que demande le peuple ? Si on devait résumer : tout cela, c’est pour vous. Les apprenants et le public sont manifestement au rendez-vous, des mentions j’aime, une confiance de tous les instants et un franc soutien. Aucun doute, tout cela... c’est grâce à vous !
Alors, on ne vous remercie jamais assez mais, cette fois, cela nous semble essentiel. En avant donc pour une nouvelle année que nous souhaitons aussi riche que la précédente !
J-F & Baptiste
Bon anniversaire
Paleo-en-ligne
Un grand merci à Gérard Caye pour cette jolie illustration !
En paléographie, on fait le distinguo entre les écritures posées, ou calligraphiées par un maître écrivain disposant de tout son temps, et les écritures cursives, tracées rapidement par un clerc pris par l’urgence de son activité professionnelle (notaire, juriste, etc.). La très grande majorité des documents manuscrits conservés aux Archives ou en bibliothèque appartiennent à la seconde catégorie, celle des écritures cursives.
Pour déchiffrer un texte manuscrit de l’époque moderne (XVe-XVIIIe s.), le paléographe doit oublier ses automatismes actuels et « réapprendre à lire » : il lui faut assimiler non seulement la forme des lettres anciennes, mais aussi la façon dont elles étaient reliées entre elles (ligatures) et le système par lequel les clercs d’autrefois abrégeaient les mots. L’acquisition de ces trois éléments indissociables – lettres, ligatures et abréviations – permet une lecture aisée et globale des mots qui composent un texte manuscrit ancien, tout comme on ne décompose pas lettre à lettre les mots d’un texte d’aujourd’hui.
La paléographie est ainsi un instrument indispensable pour qui veut pénétrer dans l’univers des recherches historiques ou généalogiques, et accéder aux sources dont ces recherches se nourrissent.
À titre d’exemple, voici un extrait tiré d’un inventaire après décès parisien de 1599, parfaitement représentatif des écritures cursives de cette époque.
« Item ung bail faict par ledict deffunct Robert Le Maistre
à Crestien Le Maistre, laboureur demourant à la Fontayne Bellanger,
de troys accres troys verges de terre labourable
en plusieurs pieces, assis au terrouer dudict lieu de la Fontayne,
dicte parroisse, et ledict bail faict tant aux charges
y declarées que moyennant la quantitté de dix huict boisseaulx
de froment de la grande mesure de Louviers, à ung
sol près du meilleur, payables au terme et ainsy
qu'il est declaré audict bail signé Chappelain et Thevenain
datté du XVe mars mil Vc IIIIxx XVII, inventorié au dos
................................................................XXI. »
Jean-François Viel
Les écritures des registres paroissiaux ne sont pas les plus difficiles à déchiffrer, loin s’en faut. Le vocabulaire et les formules qui y sont employés sont très restreints et répétitifs. Beaucoup plus diversifiés sont les actes notariés, aux nuances juridiques infinies, et donnant souvent lieu à des écritures particulièrement cursives. On en a déjà vu sur ma page professionnelle quelques exemples.
Toutefois le summum de la difficulté paléographique se trouve sans doute dans les plumitifs des cours de justice, où les clercs écrivaient à la vitesse de la parole. Les mentions apposées en marge des pièces de procédure et des sentences, notamment, sont particulièrement difficiles à déchiffrer.
En voici un court exemple avec la mention apposée au bas d’une sentence d’homologation prononcée par le lieutenant civil du Châtelet de Paris en 1585 :
Arch. nat., Y 3879
« Prononcé audict Courtin en personne le mercredy XXXe et penultime jour de janvier M Vc IIIIxxV.
Baillé mynutte au greffe. »
Les difficultés de lecture que générait ce type d’écriture – et les erreurs qui en résultaient – conduisirent les autorités à prendre des mesures de simplification. Après que les meilleurs maîtres écrivains de l’époque aient été consultés, un arrêt fut rendu le 26 février 1633 par le Parlement de Paris, qui limitait les écritures autorisées à deux types : la ronde ou française pour les professionnels de l’écriture, et la bâtarde ou italienne pour les lettrés.
On notera cependant que la ronde allait elle-même évoluer vers une écriture aux boucles abondantes, rendant encore difficile la lecture des actes notariés et judiciaires à la fin du XVIIe siècle, et même parfois au siècle suivant.
Jean-François Viel
Bibliographie sommaire :
Claude Mediavilla, Calligraphie : du signe calligraphié à la peinture abstraite, Paris (Imprimerie nationale), 1993
Claude Mediavilla, Histoire de la calligraphie française, Paris (Albin Michel), 2006
Nicolas Buat et Evelyne Van den Neste, Manuel de paléographie française, Paris (Les Belles Lettres), 2016
« En sorte que dieu m’a abandonné, après avoir
prié les soldas de se servir plustot du poingnar(d)
que de ces rigeurs sy criminelles qui m’ont
faict esvannouÿr unne quar d’eure &, après estre
revenu, les pleures & frisons aveq cris vermoudieu,
dont j’atant encore & à tout jours l’aÿde &
le secours, je luÿ demandoit de retirer mon corps
de ceste vÿe & prendre mon ame entre ces mains
& de me soulager dans ceste presante persecusion »
À la fin du mois d’octobre 1685, Jacques Papavoine (1648-1724), un marchand rouennais, évoque sa réaction de sidération face aux dragonnades. L’auteur de cet écrit du for-privé a déjà été évoqué, par mes soins, dans l’article sur le Grand Hiver de 1709. D’origine espagnole, ce marchand mercier est un protestant ayant rédigé un Livre de raison de 1655 à 1723. Il y évoque ses affaires commerciales, mais aussi les événements du quotidien. Celui-ci a commencé sa carrière comme apprenti aux Provinces-Unies et en Allemagne. En février 1666, c’est d’ailleurs à Hambourg qu’il « aprins la religion luterienne ». Il effectue plusieurs voyages à l’étranger avant de revenir à Rouen s’installer définitivement en avril 1671.
Au lendemain de la révocation de l’Édit de Nantes (qui accordait une certaine forme de tolérance envers les protestants et avait pour objectif de mettre fin aux Guerres de Religion), Jacques Papavoine est contraint de loger à son domicile un brigadier, une trompette, trois cuirassiers, ainsi que deux valets. Confronté à sa résistance, le premier novembre, quatre cuirassiers supplémentaires sont envoyés dans sa maison familiale. La pression est déjà considérable et doit encore s’intensifier puisqu’il « estois escrit sur le rolle pour en avoir encore 12 d’augmentation ».
Le choix s’impose donc pour ce marchand, mais le départ est impossible en raison de la grossesse de sa femme. Il parvient à résister quelques semaines à cette “mission bottée” qui frappe les protestants rouennais, mais aussi l’ensemble du royaume de France depuis 1681. L’objectif pour le pouvoir royal est bel et bien d’unifier le territoire autour d’une foi unique. Le départ est complexe car les protestants n’ont pas le droit de sortir des frontières. Supporter les brimades de la soldatesque n’est pas une option non plus. Ainsi, Jacques Papavoine affirme « qu’il estoit inposible de pouvoir resister aux juremens, blasfaimation, désordres, volles ». Dans ses Mémoires, Isaac Dumont de Bostaquet - un gentilhomme normand - relate lui aussi cette dragonnade rouennaise dans des termes similaires.
L’un comme l’autre font d’abord le choix de la conversion. Jacques Papavoine justifie son acte en affirmant que c’est la « persécution diabolique (qui) m’a obligé de faire comme les autres religionnaires ». En novembre, il est reçu par le curé de Saint-Godart avec sa servante, alors qu’une partie de sa famille s’enfuit aux Provinces-Unies et en Angleterre. Il continue de faire des affaires dans une capitale normande vidée d’une partie de ses protestants et constate progressivement qu’il doit réorganiser son réseau en raison de la dispersion de ses correspondants habituels. En septembre 1699, il est contraint de présenter l’une de ses filles au lieutenant général qui « me l’a fait aracher (des) bras & conduire au couvent des Nouvelles Cattoliques ». Cherchant à envoyer un à un ses enfants à l’étranger, il constate la fuite progressive des protestants de Rouen jusqu’au début du XVIIIe siècle. Il garde aussi des liens solides avec les terres de refuges de ses coreligionnaires. Dans un monde profondément bouleversé, on sent toute la souffrance qui se dégage des lignes qu’il rédige. Ce sont bien celles d’un homme déraciné en son propre royaume et profondément troublé par cette conversion à une foi qui n’est pas la sienne et qu’il n’adopte jamais véritablement.
Si Dumont de Bostaquet fait, lui aussi, le choix de la conversion, il se résout finalement à sa première idée : le refuge. Il rejoint d’abord les Provinces-Unies et, en militaire, s’engage au côté de Guillaume III pour son expédition anglaise. Celui-ci termine pauvrement sa vie en Irlande à Portarlington. Dans cette petite ville se regroupent nombre d’officiers trop âgés pour servir et y forment une petite colonie de protestants français en exil. Sa fuite du royaume n’a pas été simple puisqu’il a été blessé et contraint d’abandonner une partie de sa famille de peur des galères.
Cette politique d’étouffement des réformés est engagée par Louis XIII, renforcée avec le règne personnel de Louis XIV et, surtout, la révocation de l’Édit de Nantes qui provoque une véritable hémorragie protestante. Cet acte d’autorité fait des réformés des étrangers en leur propre pays. Entre 1660 et 1689, plus de 200 000 personnes quittent le royaume de France pour rejoindre les Provinces-Unies, l’Angleterre et ses colonies, le Saint-Empire romain germanique ou encore la Suisse. La majorité fait donc le choix de subir les persécutions royales ou de la conversion forcée. Ces changements de religion, comme Jacques Papavoine en témoigne, s’accompagnent d’un véritable lavage de cerveaux, visant prioritairement les femmes (enfermées dans des couvents) et les enfants poussés dans la foi catholique à grand renfort de pensions de dédommagement afin de jeter le trouble au cœur des familles.
Baptiste Etienne
Source :
- BM Rouen, Ms M 281, Livre de raison, par Jacques Papavoine, f° 91
- Charles Read et Francis Waddington (éd.), Isaac Dumont de Bostaquet, Mémoires inédits de Dumont de Bostaquet, gentilhomme normand, sur les temps qui ont précédé et suivi la révocation de l’édit de Nantes, sur le refuge et les expéditions de Guillaume III en Angleterre et en Irlande, Paris : Michel Lévy frères, 1864
Bibliographie :
-Jean Bianquis et Émile Lesens, La révocation de l’Édit de Nantes à Rouen - Essai historique - suivi de Notes sur les protestants de Rouen persécutés à cette occasion, Rouen : Léon Deshays, 1885, p. 68
- Luc Daireaux, Réduire les huguenots - Protestants et pouvoirs en Normandie au XVIIe siècle,Paris : Honoré Champion, 2010
- Philippe Joutard, La Révocation de l’édit de Nantes ou les faiblesses d’un État, coll. « Folio histoire », Gallimard, 2018
- Janine Garrisson, L’Édit de Nantes et sa révocation - Histoire d’un intolérance, Sciences humaines - Histoire, Points, 1987
- Thierry Sarmant, « La révocation de l’édit de Nantes », dans Louis XIV, Taillandier, 2014