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Ce texte intervient immédiatement à la suite de l'évocation du grand incendie de Troyes de 1524, dont j'ai parlé il y a peu. Par conséquent, je ne m'étends pas davantage sur le déroulé des évènements, afin de me concentrer sur l'établissement de cette analyse de Nicolas Pithou (1524-1598), au ton très critique. Deux points doivent retenir notre attention d'entrée de jeu : l'auteur est protestant, ce qui a un impact sur sa lecture des faits ; de plus, il rédige ce manuscrit dans le dernier quart du XVIe siècle. Il a donc un certain recul, mais il n'est pas témoin direct. Son objectif est alors de proposer une Histoire religieuse de sa ville natale, dans laquelle il critique ses sources et cherche à expliquer.

Nous avons donc affaire à un travail de réécriture des évènements a posteriori, sous la plume d'un juriste, avocat au siège présidial et, un temps, au Parlement. Comme il l'explique, son étude historique repose sur des interrogatoires de témoins et la consultation de documents originaux. Et pour cause, les évènements qu'il relate se sont déroulés l'année de sa naissance. Issu du premier mariage de son père, jurisconsulte et excellent orateur, il est le frère jumeau de Jean (1524-1602), devenu médecin et dont il reste proche tout au long de sa vie. On sait que cet avocat se convertit au protestantisme en 1559 et qu'il joue un rôle important au sein de l'Église réformée de France, tout en séjournant régulièrement à Genève. En 1565, on lui confie la charge de défendre ses confrères auprès de la Cour. Au lendemain des massacres de la Saint-Barthélémy d'août 1572, il s'exile pour vingt années. Nicolas Pithou vit notamment à Bâle, où sa présence est attestée en 1590 et en 1591 ; il y crée même un scandale puisqu'on l'accuse d'avoir des idées peu conformes à la doctrine calviniste. Finalement, il décède en 1598 lors d'un voyage dans sa ville natale, dans laquelle il n'a cessé de revenir régulièrement.

Dans son Histoire, Nicolas Pithou revient sur l'interprétation des faits par ses contemporains et critique l'approche des astrologues. En somme, il s'attaque assez frontalement aux "faiseurs d'ephemeres et presages", ce qui renvoie aux éphémérides, tables dans lesquelles sont indiquées jour par jour la position des astres et des planètes. Si l'expression de "gentils astrologueurs" est aussi utilisée par François Rabelais (v. 1494-1553), plus loin dans ce manuscrit, le qualificatif de "maistres prognostiqueurs" semble plus péjoratif encore, puisqu'il désigne plutôt des professionnels peu scrupuleux par opposition aux astrologues de Cour.
De manière générale et avant d'entrer dans le détail de la critique qu'il formule, ce document oblige à se demander comment l'astrologie est perçue au XVIe siècle ? Les hommes de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance baignent dans un monde des signes qu'il faut décrypter et dans des discours eschatologiques, qui traitent de l'imminence de la fin des temps. Cette croyance en une apocalypse proche se traduit également par une vision des destins individuels marqués par la même inexorabilité. Toutefois, selon l'historien Hervé Drévillon, dès cette époque, il convient de distinguer les prophéties, qui sont des discours inspirés (résultant d'un "don"), et l'astrologie, se positionnant comme l'interprète des signes du Ciel (perçue comme un "art"). 
En ces temps marqués par les tensions religieuses, l'horizon est obscur et l'avenir des hommes fait office d'exutoire avec l'annonce de lendemains calamiteux. Il n'est donc pas rare de rencontrer des prophéties de guerres, de maladies, de famines ou des prédictions de décès des princes. Le XVIe siècle est celui de l'explosion de l'astrologie dans toute la diversité de ses approches. Ces pratiques ne se bornent pas au simple désir de découvrir l'avenir. Il convient d'y voir une expression déterministe, avec une solidarité d'ordre entre les mouvements des astres et les évènements terrestres. À travers une forme de pensée magique, on considère que le monde est animé d'intentions, qu'il faudrait deviner. 
C'est dans ce contexte que les prédictions s'impriment de plus en plus dans le royaume de France. À côté des calendriers et des almanachs au public commun, se multiplient l'édition d'ouvrages avec peu de feuillets et aux petits formats. L'art divinatoire qui émerge s'illustre dans des opuscules dont les titres comportent les termes de "prognostications", de "discours", de "prédictions" ou de "prophéties". Le plus souvent, ces documents s'appuient sur des phénomènes astronomiques (comètes, météores, éclipses, etc.), des calculs astrologiques et, plus marginalement encore, sur des "révélations" religieuses.

Pantagruel

Illustration de la page de titre de Pantagrueline – Prognostication certaine, veritable et infalible pour l'an mil D XXXIII, François Rabelais (1532-1540)

Si l'auteur du manuscrit, Nicolas Pithou, se moque des ratés des astrologues sur le grand incendie de Troyes de 1524, il reconnaît néanmoins la dimension scientifique. En ce sens, il est parfaitement dans les normes de son époque ; on peut penser en particulier à certains médecins qui mobilisent régulièrement cette pratique. En 1587, dans ses Tableaux accomplis de tous les arts libéraux, Christophe de Savigny (v. 1530-v. 1585) l'associe à la physique des corps simples. En 1690, Antoine Furetière (1619-1688) se montre quant à lui plus critique en reprenant la distinction formelle entre astronomie et astrologie, qu'il qualifie de "science vaine et incertaine". Par cette rupture franche, il s'agit essentiellement de souligner un fait ancien, puisque contrairement à une idée reçue l'astrologie ne repose pas sur un socle de connaissances de type astronomique, tant historiquement que dans les pratiques. Ainsi, l'astrologie est encore largement reconnue durant la Renaissance et la bascule critique ne se fait véritablement que lors du siècle suivant. Ce n'est pas un hasard, puisque l'astrologie est censée reposer sur des calculs complexes intégrant la position des astres dans les signes du zodiaque (dont le cercle est divisé en 36 décans de dix degrés), mais les interprétations à tirer des positions ont toujours été présupposées, sans être démontrées. Comme le souligne l'historien de la philosophie Émile Namer, au XVIe siècle, ces techniques – basées sur les écrits de l'Antiquité – sont perçues comme un moyen de créer une passerelle entre le Ciel dans sa totalité et l'homme, conçu comme son abrégé (capable de percevoir sensiblement les variations du cosmos).

Par conséquent, lorsque Johann Stœffler (1452-1531) et Jakob Pflaum annoncent dès 1499 une catastrophe pour l'année 1524, se basant sur seize conjonctions planétaires, l'affaire est prise très au sérieux. Selon différents témoignages, cette prophétie d'un "deluge universel" provoque une véritable panique au sein de la population. À Toulouse, par exemple, le prêtre et professeur en droit canon Blaise Auriol (v. 1470-1540) est si épouvanté qu'il aurait construit une arche à l'imitation de Noé pour s'en prémunir. En Champagne, dans la ville de Troyes, on tente de canaliser "l'effroy" à travers la mise en place de processions. Il s'agit de cérémonies religieuses dans lesquelles tous les corps et communautés urbaines se retrouvent, afin de suivre un parcours qui a pour objectif de rétablir un ordre religieux.
Dans ce cas, Nicolas Pithou ne choisit pas sa cible au hasard. Dès les premiers temps de l'introduction de la Réforme, on observe des actes visant à perturber leur bon fonctionnement : allant de l'injure au refus de se découvrir, en passant par la dénonciation de la gestuelle idolâtre. À partir de 1560, les processions font l'objet de critiques de plus en plus acerbes de la part des protestants. Pithou ne fait donc pas exception en critiquant le principe même de ces manifestations de dévotion catholique. Pour un réformé, l'idée de demander au divin "de destourner et rompre du tout l'effect de ces horribles presages", par l'intermédiaire des prières collectives, n'a strictement aucun sens.

Or, les faits sont tenaces. À la différence de 1523 et en dépit des prédictions, la première moitié de l'année 1524 est particulièrement sèche. On peut même y voir l'une des causes de l'intensité de l'incendie de la ville. Pourtant, durant les années qui précèdent, les débats de méthodes font rage au sein du monde des astrologues. Toutefois, peu remettent en cause la prophétie en elle-même. Chacun rivalise d'inventivité et certains vont même jusqu'à assurer qu'on verra alors tous les signes qui, selon Saint-Luc, doivent marquer l'imminence de la fin des temps. Dans ces conditions, Nicolas Pithou a beau jeu de souligner l'écart criant avec la réalité :
  • dans un premier temps, il dénonce des prédictions vagues dans le contenu et par définition impossibles à réfuter. Selon le philosophe Karl Popper, la réfutabilité est un critère de démarcation entre théories scientifiques et pseudo-sciences. Nicolas Pithou s'attache donc à relever l'argument astrologique qui veut que le déluge est certain en raison de "la conjonction grande de Saturne, Juppiter, Mars au signe des Poissons" (signe d'eau). Toutefois, l'annonce est indiscutable : si l'année est a minima plus pluvieuse que la moyenne, l'astrologue sera crédité de cette prédiction, mais si l'année est sèche, il est toujours possible de se justifier et de rationaliser a posteriori. C'est exactement ce qui se produit lorsque l'échec criant de la prophétie fait perdre "tout leur credit" aux "maistres astrologues" et qu'il devient urgent d'expliquer pour ne pas perdre la face.
  • dans un second temps, l'auteur met en avant le biais d'autocomplaisance. Ici, Nicolas Pithou refuse l'interprétation proposée de la cause de l'erreur. Dans ce cas, on cherche à détourner l'échec des méthodes de l'astrologie (cause interne) pour l'attribuer à des facteurs externes (dédouanant cette croyance). En occurence, les astrologues forment une explication ad hoc, avec pour objectif de juguler la contradiction en mobilisant l'analyse proposée par l'un d'entre eux : Pasquil. Publié en 1540, soit plus d'une quinzaine d'années après les évènements, son ouvrage vient secourir les prédictions en s'appuyant sur des visions nocturnes. Celui-ci permet de trouver une justification avec l'intervention divine qui, par compassion, aurait permis d'éloigner "ces eaux de dessus la terre", afin de "les conduire ailleurs". Ce point est d'autant plus facile à invoquer que la vision serait issue d'un voyageur, venant de Suisse.
Nicolas Pithou conteste l'argument en considérant qu'il est imaginaire et que le déshonneur par association, fondé sur l'émergence du protestantisme, n'est pas justifié. Et pour cause, symboliquement, l'implantation de la Réforme serait plutôt de nature – selon lui – à éteindre le feu du Purgatoire et donc permettrait d'empêcher une sècheresse. En se plaçant au niveau des représentations de la foi, sa contre-argumentation se noie et perd en dextérité. Toutefois, l'auteur ne fait que suivre la démarche de démystification entreprise par d'autres, avant même l'année 1524 et avec davantage d'efficacité. Ainsi, le cordelier Jean Thénaud (v. 1480-v. 1546) compose une réfutation de la prédiction pour sa protectrice Louise de Savoie (1476-1531). Il y répond point par point aux trois raisons d'attendre l'arrivée imminente du déluge, telles qu'elles sont énoncées par les astrologues.

La position critique de Nicolas Pithou est-elle une exception ou est-ce attendu ? Comme le montrent les multiples critiques à l'encontre de Michel de Nostredame (1503-1566), l'art divinatoire fait largement débat au XVIe siècle. Déjà, à la fin du siècle précédent, Jean Pic de La Mirandole (1463-1494) fixe une frontière fondamentale en différenciant science et superstition, astronomie et astrologie. En 1579, Henri III interdit la prédiction politique, alors que des souverains comme Charles Quint, François Ier ou Catherine de Médicis y ont eu recours régulièrement. En 1586, une première bulle pontificale condamne les présages et l'usage de l'astrologie pour d'autres fins que "l'agriculture, la navigation, & la medecine". D'une certaine manière, le succès populaire du déterminisme astral et le rapprochement avec des pratiques magiques conduisent les autorités à condamner l'astrologie ou, au moins, ses dérives.
Toutefois, qu'il s'agisse des protestants ou des catholiques, si on trouve des critiques, il est toujours possible de rencontrer des concessions à rang égal. Par exemple, si Jean Calvin (1509-1564) formule l'une des condamnations les plus fermes de la divination en 1549, une trentaine d'années plus tard Jean Bodin (v. 1529-1596) considère qu'il s'agit d'une réaction excessive de sa part. Ainsi, l'association presque mécanique que fait Nicolas Pithou entre astrologie et foi catholique peut, sans doute, être jugée comme trop complaisante envers ses coreligionnaires.

En conclusion, la puissante dénonciation de l'auteur est fondée sur des critiques internes et externes des pratiques astrologiques. Il s'en prend avec force aux dérives de ses contemporains. Toutefois, il n'est pas exempt de contradictions propres et n'est pas totalement à charge. Il laisse notamment passer une occasion lorsqu'il évoque le second incendie de Troyes dans la suite directe de cette partie du texte. Pourtant, celui-ci est également destructeur et est survenu 6 ans après celui de 1524, sans être davantage annoncé par les astrologues.
Vous l'aurez compris, Nicolas Pithou ne se fait pas aussi ironique et distancié sur l'astrologie que les auteurs d'écrits frondeurs du XVIIe siècle. D'ailleurs, ce n'est pas tant les pronostiqueurs et les charlatans qui semblent lui poser un problème fondamental, mais bien l'idolâtrie des Troyens qui prêtent l'oreille. Ainsi, sa critique de cette pseudo-science est avant tout celle d'un protestant, contraint à l'exil et devenu étranger dans sa ville natale. 

Baptiste ETIENNE
Relecture Serge BRET-MOREL, d'Astroscept 


Références :
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BnF, Français 17527, Chronique parisienne
University of Pennsylvania (Philadelphia), Kislak Center for Special Collections, Rare Books and Manuscripts, Codex 0930, Chronique versifiée de Metz, XVIe s., f° 96
BnF, département Réserve des livres rares, RES-Y2-2125, Pantagrueline – Prognostication certaine veritable et infalible pour l'an mil D XXXIII, nouvellement composee au profit & advisement de gens estourdis et musars de nature par Maistre Alcofribas architriclin dudict Pantagruel, par François Rabelais, 1532-1540
Pasquilli extatici, sev nupere coelo reversi, de rebus partim superis, partim inter homines in Christiana religione passim hodie controversis, cum Marphorio colloquium, multa pietate, elegantia, ac festivitate resertum, C.S. Curio, 1540
Hippolyte Aubert (éd.), Correspondance de Théodore de Bèze, vol. VI, Genève : Librairie Droz, 1970, p. 93
Sabine Citron et Marie-Claude Junod (éd.), Registres de la compagnie des pasteurs de Genève, vol. VI, Genève : Librairie Droz, 1980, p. 215-217

Yves-Marie Bercé (dir.), La science à l'époque moderne, Actes du Colloque de 1996, Association des historiens modernistes des universités, n° 21, 1998 
Jean-Patrice Boudet, Entre science et nigromance – Astrologie, divination et magie dans l'Occident médiéval (XIIe-XVe siècle), Paris : Éditions de la Sorbonne, 2006
ID. et Nicolas Weill-Parot, « Être historien des sciences et de la magie médiévales aujourd'hui : apports et limites des sciences sociales », dans Être historien du Moyen Âge au XXIe siècleActes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 2007, p. 199-228
Serge Bret-Morel et Élisabeth Feytit, L'astrologie, ça marche !... trop - Itinéraire d'un astrologue déchu, La Route de La Soie, 2020
Denis Crouzet, « Recherches sur les processions blanches (1583-1584) », Histoire, Économie et Société, n° 4, 1982, p. 511-563
Jean Delumeau et Yves Lequin (dir.), Les Malheurs des temps - Histoire des fléaux et des calamités en France, Paris : Larousse, 1987
Hervé Drévillon, Lire et écrire l'avenir : l'astrologie dans la France du Grand Siècle (1610-1715), Seyssel : Éditions Champ Vallon, 1996
Marie-Madeleine Fragonard et Pierre-Eugène Leroy (dir.), Les Pithou - Les Lettres et la paix du royaume, Paris : H. Champion, 2003
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Maxime Préaud, Les astrologues à la fin du Moyen Âge, FeniXX réédition, JC Lattès, 1984
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Claude Vial-Barthalay, Les livres d'astrologie et d'astronomie imprimés à Lyon au XVIe siècle, École Nationale Supérieure des Bibliothèques, Villeurbanne, 1981
Nicolas Weill-Parot, Les "images astrologiques" au Moyen Âge et à la Renaissance – Spéculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XVe siècle), Paris : Champion, 2002

Transcription :

« Or, les astrologueurs[ues], et1 faiseurs d’ephemeres et presages
avoient publié par leurs livres que, en ceste année mil cinq
cent vingt quatre [en laquelle fut la conjonction grande de Saturne, Juppiter, Mars au signe des Poissons]2, il y auroit de grands deluges et innonda-
tions d’eau et telz qu’on n’avoit oncques3 veu. [Bref, avoient predict le deluge universel]4. Ce qui apporta5
causa [partout]6 un tel effroy, non seulement à ceux de Troyes, mays
aussy à plusieurs autres7 que tout le monde trembloit de
peur. Et fit on force processions, afin qu’il pleust à Dieu
de destourner et rompre du tout l’effect de ces horribles
presages, mays en8 finalement il en alla tout au rebours,
et perdirent [de sorte que]9 ces maistres prognostiqueurs [perdirent]10 tout leur credit.
Pour ce coup, voyre mesme les plus experimentez de ce temps
là en ceste science, car ceste année fut seiche au possible, [il fit la (qui) plus grande
voyre autant ou plus que aucune autre precedente
secheresse qu’on veu oncques, ce qui causa (advancea) de tant plus]11
la ruine et desolation de ceste pauvres ville. Car le feu
trouvant les matieres des maisons et edifices plus promptes
et disposées à le recevoire, à cause de ceste grande seicheresse
s’en servoit comme d’allumettes. D’autre part, ces maistres
astrologues, &12 voyantz deceuz en leurs predications [leurs predications avoir succedé tout à rebours]13, se
trouveront fort empeschez à en14 rechercher les causes
de l’evenement contraire. Un seul, Pasquil, les en
esclaroit et delivra de ce doubte [par le livre] [au livre de ses visions]15 par ses visions qu’il
publia quelque temps après. Dieu (dict il) ayant allors
pitié et compassion des humains commanda à Neptune
de destourner ces eaux de dessus la terre et les
conduire ailleurs. Voyant qu’il luy estoit impossible
d’espandre16 tout un si grand amas d’eau où il vouloit,
il en envoya une bonne part dedans le purgatoire
qui porta un si grand eschec et dommage à ce feu [au feu d’icelluy]17
que, oncques puis, il n’a point vrayement bruslé,
car la plus grand part en fut esteinte, ce que Pasquil
disoit avoir apprins d’un sien hoste, en un voiage qu’il
fit au pais des Souisses. Aussy, à la verité, les protestans
et Suisses et, surtout, ceux de Zurich s’employerent
ceste année fort et roide à ruiner et abolir de tout
ce feu de purgatoire et s'i comporterent et conduirent
si dextrement18 et magnanimement que de là en advant
il n’eut aucune force ou vigueur en leurs quartiers
et furent par leur moyen plusieurs estrangers delivrez de la
crainte horrible qu’ils avoient conçeue de longue main19 de
ce feu imaginaire et controuvé20. Et, par mesme moyen, ceux
de Zurich bannirent le 26 jour du moys de juillet oudict an
1524 et chasserent de leurs terres la Religion Pretendue
Catholique et y restablirent la vraye. »

1 L'auteur note d'abord "or, les astrologueurs et faiseurs d'ephemeres" qu'il corrige, ensuite, par "or, les astrologues, faiseurs d'ephemeres et presages".
2 La précision figure en marge du document.
3 Dans le sens de jamais.
4 La mention est en marge du manuscrit.
5 Le terme est rayé, puis corrigé au début de la ligne suivante.
6 L'ajout est en interligne.
7 La phrase est biffée dans le document original.
8 Le mot est rayé dans le manuscrit.
9 Après avoir biffé, l'auteur effectue une correction en interligne.
10 L'ajout est en interligne.
11 Ici, une phrase entière est rayée et corrigée en interligne.
12 L'esperluette est biffée dans le document original.
13 Après avoir rayé, l'auteur corrige en interligne.
14 Le terme est biffé dans le manuscrit.
15 À la suite de plusieurs tentatives de correction, l'auteur ajoute la mention en marge. 
16 Dans le sens de verser une certaine étendue, déverser.
17 Après avoir rayé dans le manuscrit, l'auteur reformule en interligne.
18 Pour droitement.
19 Pour depuis longtemps.
20 Verbe synonyme d'imaginer ou d'inventer.

[ Modifié: samedi 7 janvier 2023, 00:23 ]