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par Le Paleoblog, mardi 19 janvier 2038, 03:14
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Ce blog a pour objectif de vous faire partager les découvertes, les coups de cœur et les astuces de deux paléographes professionnels passionnés par leur métier.

Si vous aimez l’histoire, la généalogie, la paléographie, n’hésitez à parcourir régulièrement ce blog !


 

[ Modifié: mardi 29 mai 2018, 14:21 ]

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par Baptiste Etienne, samedi 21 novembre 2020, 11:59
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Plantons le décor de cette découverte hors du commun. En mars 1630, une fouille a lieu dans le village de la Cala, à une vingtaine de kilomètres de Tunis, près des ruines du site d’Utique. Nous sommes alors au cœur du territoire Maure, ce qui évoque à l’origine les populations berbères d’Afrique du Nord. À partir du VIIIe siècle, le terme désigne par extension les « musulmans » et, plus particulièrement, ceux vivant en Al-Andalus (péninsule Ibérique). Malgré la reconquête qui s’achève en 1492, on maintient l’usage pour faire référence aux populations du Maghreb durant l’ensemble de l’époque moderne, et ce, jusqu’au XIXe siècle.
Le chercheur à l’origine de l’annonce fabuleuse est Thomas d’Arcos, né en 1573 à La Ciotat (Provence). Il connaît bien le territoire qu’il explore puisqu’il a été capturé à Tunis et vendu comme esclave en 1628. Libéré deux ans plus tard, converti à l’islam, il reste au Maghreb et entretient de riches correspondances, d’où est extrait le document que nous étudions aujourd’hui.
À travers cette lettre, on s’aperçoit rapidement que la découverte est de taille ! À partir des quelques fossiles retrouvés, il est possible de considérer qu’il aurait une « grandeur desmezurée » de près de plus de 18 mètres de haut. Les unités de mesures utilisées sont alors la coudée, correspondant à deux palmes. Cette dernière est ancienne, utilisée par les bâtisseurs de cathédrales du Moyen Âge et encore en usage dans la marine du XVIIe et du XVIIIe siècle pour la mesure du bois de mâture. Égale à deux palmes, la coudée est aussi une mesure courante depuis l’Antiquité.

Vous pensez à de faux ossements ? Détrompez-vous puisque la lettre assure qu’il ne faudrait pas croire « que cecy soit fable ». Ainsi, selon l’auteur, rien ne remplace l’expérience humaine : « je vous asseure que je l’ay veu & touché ». Le problème majeur demeure que ces fossiles « sont en partie pourriz & partie entiers ». Néanmoins, le découvreur espère en conserver une partie qu’il souhaite « garder par curiosité », il est d’ailleurs aisé de les imaginer peuplant le cabinet privé des Aycard. Les membres de cette famille de marchands et de magistrats de Toulon sont à l’origine de l’expédition de Thomas d’Arcos, à la recherche d’inscriptions antiques. Ils entretiennent une correspondance pour laquelle nous avons conservé des traces de 1630 à 1637.
La preuve essentielle quant à ce géant repose sur une molaire, ce qu’affirme notre témoin oculaire : « j’ay veu & pesé une de ses dentz, & pese 2 livres & demye, qui sont 40 onces ». Par conséquent, celle-ci ferait plus d’un kilogramme, soit près de 100 fois plus qu’une molaire humaine moyenne.

"Dessein de la dent, qu'on disoit estre de ce gean apporté de Thunis"
"Dessein de la dent, qu'on disoit estre de ce gean apporté de Thunis"


Quelles hypothèses peut-on formuler à l’issue de cette découverte ?
Dans sa lettre, d’Arcos se fait le relais des réflexions de ses proches qui pensent que le géant daterait de « devant le deluge ». Considérant qu’ils « resvent », celui-ci méprise les mythes des habitants locaux qui osent nommer le géant à partir de « leurs livres antiques ». Et pour cause, nombre de représentations littéraires de l’époque, touchant à l’Afrique, considèrent encore qu’il s’agit d’un territoire peuplé de géants. Notre archéologue est peut-être également victime des légendes que peuvent véhiculer certains dictionnaires, comme celui de Daniel de Juigné qui considère que ce continent « produit encore aussi quelques monstres d’hommes ». En outre, l’auteur affirme que les habitants considèrent que cette découverte signifie « que les Chrestiens domineront bien tost la Barbarie ».
Je lui laisse cette dernière interprétation, mais je souhaite maintenant lever le voile sur cette découverte. La taille exceptionnelle du géant résulte probablement d’une erreur logique. Ainsi, il ne paraît pas surprenant d’obtenir des estimations farfelues, si on attribue des ossements d’un grand ruminant à un géant bipède. De plus, il faut garder à l’esprit trois éléments qui ont certainement retardés l’identification :
1) Au XVIIe siècle, on dispose de peu de points de comparaison pour les grands animaux du continent africain.
2) Dans ce cas, les fossiles sont en mauvais état de conservation, ce qui peut laisser libre court à une certaine imagination. Ainsi, en date du 24 juin, une autre lettre d’Arcos assure que « le reste de ses ossements sont touts tombés en poudre ». À noter que la présence d’un cours d’eau qui traverse la zone de fouille a pu accélérer cette destruction.
3) Dans un monde profondément chrétien, parmi les diverses mentions de géants, la référence aux nephilims de la Bible ne peut être ignorée. Ce peuple surnaturel, souvent traduit par « géants », se rencontre dans le passage de la Genèse, juste avant le déluge qui est justement cité comme élément de datation.


Dans ce cas, notre chercheur est confronté à divers biais de confirmation. Ainsi, ce biais cognitif vise à privilégier les informations qui corroborent son idée préconçue. Par conséquent, Thomas d’Arcos accorde mécaniquement moins de poids aux éléments qui jouent en défaveur de son hypothèse initiale.
Pourtant, certains auront reconnus que cette dent appartient manifestement à un herbivore. Il s’agit d’une molaire, probablement d’éléphant, voire de mammouth, qui peuvent peser jusqu’à 2,5 kilogrammes. Contrairement à une idée reçue, ces éléphantidés ne vivaient pas uniquement dans les espaces froids. Ainsi, il existe une variété africaine du Pliocène, dont des fossiles – datant d’environ 4,8 millions d’années – ont été retrouvés au Tchad, en Libye, au Maroc ou encore en Tunisie. Toujours est-il que cette dent a été comparée à celle de restes d’éléphants après son envoi en métropole. La ressemblance a alors été jugée comme frappante et probante. Et pour cause, dès l’époque, le correspondant de Thomas d’Arcos est parvenu à déterminer qu’il s’agit bien d’un éléphant de savane, proche de l’éléphant d’Afrique moderne et aujourd’hui éteint, le Loxodonta africanava. Avec cette dent fossilisée de grande taille, l’option du L. africanava du Pléistocène ne peut être formellement exclue puisque ces conclusions se basent sur des comparaisons établies à partir du croquis ci-dessus.

En l’espace de quelques semaines, la découverte sensationnelle du géant s’est donc dégonflée, au profit d’une hypothèse qui correspond à des éléments connus de la science de l’époque. On comprend sans mal l’emballement du chercheur de 1630 confronté à des fossiles très dégradés et manifestement nouveaux pour lui. Cette affaire n’est pas sans rappeler celle du prétendu géant du Dauphiné au début du règne de Louis XIII. Pierre Mazuyer, un chirurgien local, exploite la découverte en 1613 d’ossements de près de 2 mètres de longs qu’il fait passer pour ceux de Theutobochus, un roi teuton qui a été fait prisonnier par le général romain Caius Marius en 102 av. J.-C. L’affaire a tellement fait parler d’elle, que les fossiles sont présentés à la cour du jeune roi, avant que la supercherie ne soit révélée après 1618... 

Baptiste ETIENNE

Sources :
- BnF, Dupuy 488, Mélanges historiques, f° 170 et 171
- D. de Juigné Broissinière, Dictionnaire théologique, historique, poétique, cosmographique et chronologique, 6e édition, Lyon : P. André, 1658
- A. L. Millin, Magasin encyclopédique ou journal des sciences, des lettres et des arts, vol. 5, Paris : Imprimerie de Delance, 1806

Références :
- P. Barthélémy, « Teutobochus, le géant qui n'en était pas un », dans Le Monde, "Passeur de sciences", le 12 janvier 2013
- R. Goulbourne, « Comédie et altérité : l'Afrique et les Africains dans le théâtre comique du XVIIe siècle », dans L'Afrique au XVIIe siècle : Mythes et réalités, Tübingen : Gunter Narr Verlag, 2003, p. 293-308
- M. Kölbl-Ebert (dir.), Geology and Religion - A History of Harmony and Hostility, n° 310, Londres : The Geological Society, 2009
- C. Lemardelé, « Une gigantomachie dans la Genèse ? Géants et héros dans les textes bibliques compilés », Varia, Revue de l'histoire des religions, 2010, p. 155-174
- F. Mora, « Le mythe des géants et la "renaissance" du XIIe siècle », dans La mythologie de l'antiquité à la modernité, Rennes : PUR, 2009, p. 143-155
- M. Patou-Mathis, Histoires de mammouth, Librairie Arthème Fayard, 2015
- L.V. Thomas, « Temps, Mythe et Histoire en Afrique de l'Ouest », Présence Africaine, n° XXXIX, vol. 4, 1961, p. 12-58
- J. Tolbert, « Ambiguity and Conversion in the Correspondence of Nicolas-Claude Fabri de Peiresc and Thomas d'Arcos (1630-1637) », Journal of Early Modern History, n° 13, 2009 


[ Modifié: dimanche 22 août 2021, 17:32 ]

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    par Le Paleoblog, dimanche 3 mars 2019, 09:29
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    Pour illustrer l’affaire des possédées de Loudun, rien de mieux que ces signatures du pacte supposé du prêtre Urbain Grandier avec le diable. Tout y est pour faire illusion : une graphie particulière, des fourches et des dessins énigmatiques. Faux grossier, produit en justice, ce document démontre parfaitement la situation ubuesque de ce procès en sorcellerie. L’affaire des possédées de Loudun est, sans doute, l’un des cas les mieux documenté. Celle-ci éclate au cœur de l’épidémie de sorcellerie mis en avant par Hugh Trevor-Roper qui frappe le royaume de France de 1560 à 1650. Ainsi, le cas de Loudun n’est pas sans en rappeler d’autres célèbres, telles que la possession de Marthe Brossier en 1599 ou celles d’Aix (1610-1613) et de Louviers (1633-1647).

    Si, progressivement au cours du XVIIe siècle, le rôle joué par les juges dans ce type de procès provoque de plus en plus l’abandon des poursuites, dans les années 1630, nous sommes encore au cœur d’une justice d’exception. Justice d’exception puisqu’elle ne suit pas le cours « normal » d’un procès civil, nous sommes donc confrontés à une situation hors norme. Les problèmes d’interprétations posés par l’histoire de la sorcellerie et de sa répression ne cessent d’interpeller les historiens. La sorcellerie est donc au centre de l’attention des historiens, comme en témoignent les nombreux ouvrages et publications qui se succèdent sur le sujet depuis la publication de Michel de Certeau en 1969. Ainsi, on note le travail conséquent de Robert Mandrou sur le sujet ou encore l’apport de Carlo Ginzburg. Ce dernier voit dans la sorcellerie une formation culturelle organisée autour d’une croyance dans un complot et, il faut bien le souligne, l’affaire de Loudun n’en est pas dénuée. Loudun est ce que l’on peut qualifier une « frontière de catholicité ». 

    Nous sommes aux confins du Poitou et de la Touraine. Loudun, parfois qualifiée de « deuxième La Rochelle » (bien qu’elle n’ait pas subi le même sort dramatique que le port protestant), est une ville aux fonctions administratives et judiciaires. Il s’agit d’un centre intellectuel, une cité prospère et surtout, elle aussi, est une place de sûreté dans une province marquée par la Réforme. Par ailleurs, cette ville est à proximité de la ville neuve de Richelieu et subit une ponction à cette occasion. Ainsi, Richelieu est édifiée entre 1631 et 1642, elle porte l’empreinte de son fondateur et commanditaire, le cardinal de Richelieu. Conçue suivant le principe de la « cité idéale », elle est basée sur un plan en damier. 

    Les années 1630 marque donc un profond bouleversement pour la ville et c’est à cette occasion que Jeanne des Anges porte des accusations en sorcellerie suivant un modèle classique. Ainsi, la prieure des ursulines de Loudun jure que le curé de St-Pierre, Urbain Grandier, l’a ensorcelée au même titre que sa communauté. L’affaire locale prend vite un tour national puisque Grandier est ennemi du cardinal Richelieu et celui-ci pousse à la condamnation.

    Portrait

    Portrait d'Urbain Grandier (1627)

    Tout au long de la procédure judiciaire qui va le broyer, Urbain Grandier reste inflexible. Alors même que la décennie 1630 est marquée par les répercussions du siège de La Rochelle qui illustre la volonté royale d’imposer le catholicisme et de rogner les droits accordés par la mise en place de l’Édit de Nantes, ce prêtre cadre mal avec la réforme catholique. Qui est Grandier ? Urbain Grandier n’avait rien pour « entrer dans l’histoire », a priori. Né vers 1590, il n’est qu’un simple prêtre dans une paroisse urbaine d’une ville secondaire du royaume de France. Fils d’un notaire, il est nommé à l’âge de 27 ans comme curé de cette église et devient chanoine de l’église de Sainte-Croix de Loudun, à partir de juillet 1617. Toutefois, Grandier dérange. Ses sermons attirent les foules et son profil de séducteur fait de lui un tombeur de femmes. Il est responsable de la grossesse de la fille du procureur du roi, alors âgée de 15 ans. Il devait seulement lui enseigner le latin et finit par l’abandonner pour se mettre en ménage avec une orpheline, issue de la haute noblesse et destinée à la religion. Grandier construit alors tout un argumentaire, à travers un Traité contre le célibat des prêtres, pour justifier sa conduite. Iconoclaste, il ne peut que se heurter à la position de l’Église engagée dans la Réforme avec le Concile de Trente. S’il est arrêté pour débauche, celui-ci gagne son procès et revient à Loudun. Démarché par la supérieure du couvent des Ursulines de Loudun, Jeanne des Anges, qui lui propose de devenir le confesseur de la communauté, Grandier se récuse et la supérieure porte son choix sur le chanoine Mignon, ennemi de Grandier. 
    C’est le début de l’affaire puisque durant une dizaine d’années, le confesseur des Ursulines ainsi que nombre de notables vont s’attaquer à Grandier en multipliant les procédures judiciaires et en s’attaquant aux mœurs du curé. Par ailleurs, celui-ci s’était aussi montré discourtois envers Richelieu, alors qu’il n’était pas encore cardinal. Toutefois, en lui prenant la préséance lors d’une cérémonie, Grandier s’en est fait un ennemi. Le cardinal l’avait sans doute oublié, mais dans les années 1630, Richelieu souhaitait faire abattre le château et une partie des remparts et… Grandier s’y oppose publiquement. Mal lui en a pris!

    Portrait 2

    Portrait de Jeanne des Anges

    Jeanne des Anges, née Belcier en janvier 1602, est issue d’une famille de petite noblesse de Saintonge. Après un accident de jeunesse, elle demeure handicapée toute sa vie. Dès l’âge de 5 ans, elle subit une instruction religieuse auprès de ses tantes maternelles, bénédictines à l’abbaye royale de Saintes. Si elle a une instruction rudimentaire, elle maîtrise le latin. Supportant mal les contraintes des règles de Saint Benoît, elle rejoint finalement le noviciat des Ursulines de Poitiers, soumises à la règle de Saint Augustin, en 1622. Un an plus tard, elle prononce ses vœux et prend le nom de Jeanne des Anges. Sa vie est alors jugée inconvenantes et elle-même en convient puisqu’elle écrit que « j’ai donc passé ces trois années en grand libertinage ».
    En 1627, lorsque le couvent de Loudun est créé, elle fait partie du groupe des fondatrices et parvient à se faire nommer prieure. C’est à ce moment et alors même qu’elle ne connait pas Grandier personnellement, qu’elle en vient à l’accuser. Pour autant, à la mort de Grandier, les signes de possession ne cessent pas. À partir de la fin des années 1630, la soeur devient de plus en plus pieuse, voire mystique, et tout rentre dans l’ordre dans le couvent. Son accusation est reprise par nombre d’Ursulines. Au total, neuf religieuses Ursulines seraient possédées ainsi que trois religieuses séculières. À l’image de Jeanne des Anges, toutes accusent Grandier. Poussant des cris, elles appellent le prêtre “leur maître”. L’interrogatoire de Grandier révèle aussi que « toutes les autres possedées firent des cris et des diableries qu’on ne sçauroit exprimer ». De plus, leur exorcisme en public attire une grande foule qui vient tant pour le spectacle que pour se faire peur. Au coeur d’une société très cadrée, ces corps qui se déhanchent dans des positions suggestives et l’expression de propos scandaleux ne peuvent qu’éveiller la curiosité. La ville se divise entre partisans de Grandier et pro possession... l’affaire fait grand bruit!

    On peut alors s’interroger quant à l’intérêt de porter de telles accusations pour ces religieuses. Le simple refus de Grandier de devenir confesseur de la communauté ou le cas psychiatrique de Jeanne ne suffisent pas. Or, le couvent est dans une situation financière très délicate. La reconnaissance d’une possession permet à la communauté de bénéficier d’une pension royale conséquente. Et pour cause, durant quelques années, les Ursulines de Loudun ne recrutent plus et n’ont pratiquement plus de donation. Certaines soeurs accusatrices considèrent même que le chanoine Mignon les aurait incitées à enfoncer le prêtre. De plus, cette affaire donne à Jeanne des Anges une réputation exceptionnelle. Officiellement “convertie” en 1637, elle entreprend un tour triomphal du royaume de France l’année suivante. Considérée comme une thaumaturge et une miraculée.

    Accusé une première fois, Grandier est acquitté, avant que la procédure ne soit relancée par l’intervention royale. Passé à la question (doux euphémisme pour parler de torture), Grandier fait preuve d’une étonnante résistance. Il ne cesse de nier les accusations. Néanmoins, cette fois, rien ne peut arrêter le cours de la justice et sa condamnation à mort est inévitable. Un tribunal d’exception sous-entend la certitude de la condamnation et l’affaire de Loudun se déroule donc logiquement. Le 18 août 1634, le prêtre est envoyé au bûcher après avoir été reconnu coupable.
    Les controverses suscitées par l’affaire des possédées de Loudun contribuent puissamment à la mise en cause des procès en sorcellerie en France. Si la ville est déjà menacée par l’accroissement de la concurrente et voisine Richelieu, son sort s’aggrave encore à partir de l’été 1632 et les scènes de possession du couvent des ursulines. Toute l’affaire est terminée dès 1634, au moment même où l’entrée ouverte dans la guerre de Trente ans devient inéluctable et après la « journée des dupes ». Cette affaire est l’occasion pour le pouvoir de montrer qu’ils agissent fermement sur le front intérieur, en champions du catholicisme. En somme, la ville de Richelieu, symbole de la puissance du cardinal, devient l’instrument de la reconquête catholique et doit l’emporter sur Loudun. La décennie 1630 est aussi marquée par un fléchissement de la monarchie sur ses bases puisque l’absence d’héritier mâle ne cesse de favoriser l’émergence de conflits et de complots. D’une santé fragile, Louis XIII réchappe de la mort à plusieurs reprises et ses relations difficiles avec la reine nourrissent perpétuellement l’espoir des prétendants au trône.
    Finalement, l’affaire des possédées, c’est l’incarnation même de l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques. Ce n’est pas sans rappeler le même type de procédés dans le cadre du tribunal de l’Inquisition qui est – à l’occasion – utilisé pour servir des intérêts commerciaux. Urbain Grandier subit, ici, manifestement une convergence d’intérêts particuliers qui le conduisent directement au bûcher.


    Baptiste Etienne

    Source : 
    - Collin de PLANCY, Dictionnaire infernal ou bibliothèque universelle, sur les êtres, les personnages, les livres, les faits et les choses qui tiennent des apparitions, à la magie, au commerce de l’enfer, aux divinations…, Librairie universelle de P. Mongié, aîné, Paris 1826
    En ligne : http://www.bmlisieux.com/galeries/dictinf/dictinf.htm

    Bibliographie :
    - Annie ANTOINE, « Ville neuve et géographie des pouvoirs : l’intégration de Richelieu dans le système urbain régional et ses conséquences », dans Vivre en Touraine au XVIIIe siècle, 2003, p. 193-303
    - Michel CARMONA, Les Diables de Loudun – Sorcellerie et politique sous Richelieu, Paris, 1988
    - Michel CARMONA, Sœur Jeanne des Anges : diabolique ou sainte au temps de Richelieu?, André Versaille éditeur, 2011
    - Michel de CERTEAU, « Une mutation culturelle et religieuse : les magistrats devant les sorciers au XVIIe siècle », Revue d’histoire de l’Eglise de France, 1969
    - Michel de CERTEAU, La possession de Loudun, 1970
    - Carlo GINZBURG, Les Batailles nocturnes, Sorcellerie et rituels agraires aux XVIe et XVIIIe siècles, 1980
    - ID., Le Fromage et les vers – L’Univers d’un meunier du XVIe siècle, Paris, 1980
    - Thérèse GRIGUER, « Historiographie et médecine : à propos de Jeanne des Anges et de la possession de Loudun », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1992, p. 155-163
    - Sophie HOUDARD, « La sorcellerie ou les vertus de la discorde en histoire – Réception et influence de Magistrats et sorciers en France au XVIIe siècle », Les cahiers du Centre de Recherches historiques, 1997
     - Sophie HOUDARD, « La possession de Loudun (1632-1637) – Un drame social à l’épreuve de la performance », Communications, n° 92, 2013, p. 37-49
     - Robert MANDROU, Magistrats et sorciers au XVIIe siècle, Paris, 1980
    - Robert MUCHEMBLED, Sorcières, justice et société au XVIe et XVIIe siècles, 1987
    - Hugh R. TREVOR-ROPER, De la Réforme aux Lumières, Paris, 1972

    [ Modifié: samedi 13 mars 2021, 22:58 ]

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    par Le Paleoblog, mardi 29 mai 2018, 11:57
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    En paléographie, on fait le distinguo entre les écritures posées, ou calligraphiées par un maître écrivain disposant de tout son temps, et les écritures cursives, tracées rapidement par un clerc pris par l’urgence de son activité professionnelle (notaire, juriste, etc.). La très grande majorité des documents manuscrits conservés aux Archives ou en bibliothèque appartiennent à la seconde catégorie, celle des écritures cursives.
    Pour déchiffrer un texte manuscrit de l’époque moderne (XVe-XVIIIe s.), le paléographe doit oublier ses automatismes actuels et « réapprendre à lire » : il lui faut assimiler non seulement la forme des lettres anciennes, mais aussi la façon dont elles étaient reliées entre elles (ligatures) et le système par lequel les clercs d’autrefois abrégeaient les mots. L’acquisition de ces trois éléments indissociables – lettres, ligatures et abréviations – permet une lecture aisée et globale des mots qui composent un texte manuscrit ancien, tout comme on ne décompose pas lettre à lettre les mots d’un texte d’aujourd’hui. 
    La paléographie est ainsi un instrument indispensable pour qui veut pénétrer dans l’univers des recherches historiques ou généalogiques, et accéder aux sources dont ces recherches se nourrissent.

    À titre d’exemple, voici un extrait tiré d’un inventaire après décès parisien de 1599, parfaitement représentatif des écritures cursives de cette époque.

    « Item ung bail faict par ledict deffunct Robert Le Maistre
    à Crestien Le Maistre, laboureur demourant à la Fontayne Bellanger,
    de troys accres troys verges de terre labourable
    en plusieurs pieces, assis au terrouer dudict lieu de la Fontayne,
    dicte parroisse, et ledict bail faict tant aux charges
    y declarées que moyennant la quantitté de dix huict boisseaulx
    de froment de la grande mesure de Louviers, à ung
    sol près du meilleur, payables au terme et ainsy
    qu'il est declaré audict bail signé Chappelain et Thevenain
    datté du XVe mars mil Vc IIIIxx XVII, inventorié au dos
    ................................................................XXI. »

     

    Jean-François Viel

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    par Le Paleoblog, mardi 29 mai 2018, 11:53
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    Les écritures des registres paroissiaux ne sont pas les plus difficiles à déchiffrer, loin s’en faut. Le vocabulaire et les formules qui y sont employés sont très restreints et répétitifs. Beaucoup plus diversifiés sont les actes notariés, aux nuances juridiques infinies, et donnant souvent lieu à des écritures particulièrement cursives. On en a déjà vu sur ma page professionnelle quelques exemples.
    Toutefois le summum de la difficulté paléographique se trouve sans doute dans les plumitifs des cours de justice, où les clercs écrivaient à la vitesse de la parole. Les mentions apposées en marge des pièces de procédure et des sentences, notamment, sont particulièrement difficiles à déchiffrer.
    En voici un court exemple avec la mention apposée au bas d’une sentence d’homologation prononcée par le lieutenant civil du Châtelet de Paris en 1585 :

    Arch. nat., Y 3879

     

    « Prononcé audict Courtin en personne le mercredy XXXe et penultime jour de janvier M Vc IIIIxxV.
    Baillé mynutte au greffe. »
    Les difficultés de lecture que générait ce type d’écriture – et les erreurs qui en résultaient – conduisirent les autorités à prendre des mesures de simplification. Après que les meilleurs maîtres écrivains de l’époque aient été consultés, un arrêt fut rendu le 26 février 1633 par le Parlement de Paris, qui limitait les écritures autorisées à deux types : la ronde ou française pour les professionnels de l’écriture, et la bâtarde ou italienne pour les lettrés.
    On notera cependant que la ronde allait elle-même évoluer vers une écriture aux boucles abondantes, rendant encore difficile la lecture des actes notariés et judiciaires à la fin du XVIIe siècle, et même parfois au siècle suivant.

    Jean-François Viel

    Bibliographie sommaire :
    Claude Mediavilla, Calligraphie : du signe calligraphié à la peinture abstraite, Paris (Imprimerie nationale), 1993
    Claude Mediavilla, Histoire de la calligraphie française, Paris (Albin Michel), 2006
    Nicolas Buat et Evelyne Van den Neste, Manuel de paléographie française, Paris (Les Belles Lettres), 2016

    [ Modifié: samedi 21 novembre 2020, 12:40 ]

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    par Le Paleoblog, mardi 29 mai 2018, 11:46
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    « En sorte que dieu m’a abandonné, après avoir
    prié les soldas de se servir plustot du poingnar(d)
    que de ces rigeurs sy criminelles qui m’ont
    faict esvannouÿr unne quar d’eure &, après estre
    revenu, les pleures & frisons aveq cris vermoudieu,
    dont j’atant encore & à tout jours l’aÿde &
    le secours, je luÿ demandoit de retirer mon corps
    de ceste vÿe & prendre mon ame entre ces mains
    & de me soulager dans ceste presante persecusion »
    À la fin du mois d’octobre 1685, Jacques Papavoine (1648-1724), un marchand rouennais, évoque sa réaction de sidération face aux dragonnades. L’auteur de cet écrit du for-privé a déjà été évoqué, par mes soins, dans l’article sur le Grand Hiver de 1709. D’origine espagnole, ce marchand mercier est un protestant ayant rédigé un Livre de raison de 1655 à 1723. Il y évoque ses affaires commerciales, mais aussi les événements du quotidien. Celui-ci a commencé sa carrière comme apprenti aux Provinces-Unies et en Allemagne. En février 1666, c’est d’ailleurs à Hambourg qu’il  « aprins la religion luterienne ». Il effectue plusieurs voyages à l’étranger avant de revenir à Rouen s’installer définitivement en avril 1671.
    Au lendemain de la révocation de l’Édit de Nantes (qui accordait une certaine forme de tolérance envers les protestants et avait pour objectif de mettre fin aux Guerres de Religion), Jacques Papavoine est contraint de loger à son domicile un brigadier, une trompette, trois cuirassiers, ainsi que deux valets. Confronté à sa résistance, le premier novembre, quatre cuirassiers supplémentaires sont envoyés dans sa maison familiale. La pression est déjà considérable et doit encore s’intensifier puisqu’il « estois escrit sur le rolle pour en avoir encore 12 d’augmentation ».
    Le choix s’impose donc pour ce marchand, mais le départ est impossible en raison de la grossesse de sa femme. Il parvient à résister quelques semaines à cette “mission bottée” qui frappe les protestants rouennais, mais aussi l’ensemble du royaume de France depuis 1681. L’objectif pour le pouvoir royal est bel et bien d’unifier le territoire autour d’une foi unique. Le départ est complexe car les protestants n’ont pas le droit de sortir des frontières. Supporter les brimades de la soldatesque n’est pas une option non plus. Ainsi, Jacques Papavoine affirme « qu’il estoit inposible de pouvoir resister aux juremens, blasfaimation, désordres, volles ». Dans ses Mémoires, Isaac Dumont de Bostaquet - un gentilhomme normand - relate lui aussi cette dragonnade rouennaise dans des termes similaires.
    L’un comme l’autre font d’abord le choix de la conversion. Jacques Papavoine justifie son acte en affirmant que c’est la « persécution diabolique (qui) m’a obligé de faire comme les autres religionnaires ». En novembre, il est reçu par le curé de Saint-Godart avec sa servante, alors qu’une partie de sa famille s’enfuit aux Provinces-Unies et en Angleterre.  Il continue de faire des affaires dans une capitale normande vidée d’une partie de ses protestants et constate progressivement qu’il doit réorganiser son réseau en raison de la dispersion de ses correspondants habituels. En septembre 1699, il est contraint de présenter l’une de ses filles au lieutenant général qui « me l’a fait aracher (des) bras & conduire au couvent des Nouvelles Cattoliques ». Cherchant à envoyer un à un ses enfants à l’étranger, il constate la fuite progressive des protestants de Rouen jusqu’au début du XVIIIe siècle. Il garde aussi des liens solides avec les terres de refuges de ses coreligionnaires. Dans un monde profondément bouleversé, on sent toute la souffrance qui se dégage des lignes qu’il rédige. Ce sont bien celles d’un homme déraciné en son propre royaume et profondément troublé par cette conversion à une foi qui n’est pas la sienne et qu’il n’adopte jamais véritablement.
    Si Dumont de Bostaquet fait, lui aussi, le choix de la conversion, il se résout finalement à sa première idée : le refuge. Il rejoint d’abord les Provinces-Unies et, en militaire, s’engage au côté de Guillaume III pour son expédition anglaise. Celui-ci termine pauvrement sa vie en Irlande à Portarlington. Dans cette petite ville se regroupent nombre d’officiers trop âgés pour servir et y forment une petite colonie de protestants français en exil. Sa fuite du royaume n’a pas été simple puisqu’il a été blessé et contraint d’abandonner une partie de sa famille de peur des galères.
    Cette politique d’étouffement des réformés est engagée par Louis XIII, renforcée avec le règne personnel de Louis XIV et, surtout, la révocation de l’Édit de Nantes qui provoque une véritable hémorragie protestante. Cet acte d’autorité fait des réformés des étrangers en leur propre pays. Entre 1660 et 1689, plus de 200 000 personnes quittent le royaume de France pour rejoindre les Provinces-Unies, l’Angleterre et ses colonies, le Saint-Empire romain germanique ou encore la Suisse. La majorité fait donc le choix de subir les persécutions royales ou de la conversion forcée. Ces changements de religion, comme Jacques Papavoine en témoigne, s’accompagnent d’un véritable lavage de cerveaux, visant prioritairement les femmes (enfermées dans des couvents) et les enfants poussés dans la foi catholique à grand renfort de pensions de dédommagement afin de jeter le trouble au  cœur  des familles.

     

    Baptiste Etienne


    Source :
    - BM Rouen, Ms M 281, Livre de raison, par Jacques Papavoine, f° 91
    - Charles Read et Francis Waddington (éd.), Isaac Dumont de Bostaquet, Mémoires inédits de Dumont de Bostaquet, gentilhomme normand, sur les temps qui ont précédé et suivi la révocation de l’édit de Nantes, sur le refuge et les expéditions de Guillaume III en Angleterre et en Irlande, Paris : Michel Lévy frères, 1864


    Bibliographie :
    -Jean Bianquis et Émile Lesens, La révocation de l’Édit de Nantes à Rouen - Essai historique - suivi de Notes sur les protestants de Rouen persécutés à cette occasion, Rouen : Léon Deshays, 1885, p. 68
    - Luc Daireaux, Réduire les huguenots - Protestants et pouvoirs en Normandie au XVIIe siècle,Paris : Honoré Champion, 2010
    - Philippe Joutard, La Révocation de l’édit de Nantes ou les faiblesses d’un État, coll. « Folio histoire », Gallimard, 2018
    -  Janine Garrisson, L’Édit de Nantes et sa révocation - Histoire d’un intolérance, Sciences humaines - Histoire, Points, 1987
    - Thierry Sarmant, « La révocation de l’édit de Nantes », dans Louis XIV, Taillandier, 2014

    [ Modifié: mardi 29 mai 2018, 11:46 ]

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    « Leger luy mit les deux doigts par derriere
    p(ou)r dire cocu, il le vit dans un miroir, crut
    que c’estoit Mad(am)e de Long(ueville) qui avoit fait cela
    et revint p(ou)r luy dire : “je le sçavois bien Mad(am)e,
    mais il n’estoit pas necessaire q(ue) vous prissiez
    la peine de m’en avertir"! »
    C'est sur ce simple quiproquo qu’un épisode houleux et loufoque de la vie du duc et de la duchesse de Longueville commence. Ces quelques lignes sont le fait de Victor Texier (1617-1703), celui-là même que j’évoquais dans un précédent article sur les “Généalogies trafiquées...”. Il écrit ses Mémoires alors qu’il est prieur de Saint-Ouen de Rouen de 1663 à 1669.
    Ce religieux est un proche des Longueville et, en particulier du duc, qu’il connaît bien. Nul doute que celui-ci est sa source au sujet de cette histoire dans laquelle il est partie prenante.

    Revenons sur les faits. Nous sommes à la veille de la Fronde (1648-1652). Alors qu’il se rendait à la chasse, le duc prend le temps de faire un détour par la chambre de la duchesse qui est en train de se faire coiffer par sa servante, Madame Leger. Aux “cheveux admirables”, cette jeune servante est la fille d’un homme qui s’est ruiné pour faire imprimer un ouvrage en plusieurs langues. Elle a toute son importance dans cet épisode. Après son service auprès de la duchesse, elle se serait mariée en Basse-Normandie.
    La duchesse reçoit alors le duc “assez bien” mais, au moment de sortir de la chambre, il aperçoit dans le miroir un signe de doigts réalisé par la servante. Ce signe faisant explicitement référence à une rupture des saints sacrements de mariage. Croyant que ce fameux signe est l’œuvre  de la duchesse, s’en suit la répartie évoquée ci-dessus. Pourtant, il semble bien que la duchesse n’ait pas entendu cette phrasette cinglante. Elle dû comprendre le malaise par la suite puisqu’il “n’a jamais couché avec elle” par la suite.

    Duc et duchesse
    Le duc et la duchesse de Longueville


    Le duc et la duchesse sont des personnages hauts en couleur qui gagnent à être connus. Depuis 1619, Henri II d’Orléans est gouverneur de l’une des principales provinces du royaume de France, la Normandie. Dans ses Mémoires, son ami Texier nous dresse un portrait de lui en affirmant qu’il “estoit petit, avoit infinim(ent) d’esprit, touj(ou)rs pirouettant, affable et parla(nt) à tout le monde”. C’est aussi un homme qui aime à se montrer puisqu’il “marchoit souve(nt) à pied à Rouen, son carosse derriere, les gardes jam(ais) deva(nt) luy, son chapeau sous le bras, et salua(nt) de costé et d’au(tr)e”. Dès 1620, il est une première fois suspendu de ses fonctions pour s’être révolté dans le parti de Marie de Médicis. À partir de 1637, on note un certain retour en grâce. Ainsi, il participe à plusieurs campagnes militaires au service du roi. En 1648, c’est l’apogée, puisqu’il est l’un des négociateurs pour les préliminaires des Traités de Westphalie qui mettent un terme à la guerre de Trente Ans.
    Anne Geneviève de Bourbon est une intrigante avec “infinim(ent) d’esprit”. Texier nous précise que “quant elle plait, c’estoit d’ord(inai)re avec un air gracieux et souria(nt)”. Dans les années 1660, elle “fut touchée de Dieu aux Carmelites de Bordeaux” et s’en ouvre à Victor Texier. Leur mariage se déroule en 1642, alors que la duchesse a 24 ans de moins que le duc. Cette union est d’abord heureuse, en tous cas du point de vue du duc. Ainsi, les premières années, le duc “aimoit fort M(ademoise)lle de Bourbon qui estoit très belle, mais elle ne l’amoit gueres”. En outre, malgré cette dispute conjugale, c’est elle qui le pousse à s’engager dans la Fronde pour s’associer avec ses frères, le Grand Condé et, surtout, le prince de Conti. Elle le soutient tout du long dans cette entreprise, et ce, même après son arrestation en janvier 1650. Elle tente alors de soulever la province de Normandie, mais échoue et se réfugie à La Haye.
    Revenons de la grande à la petite histoire.  Il faut attendre plusieurs années et la fin de la Fronde pour que la duchesse revienne auprès de son époux et il “la traitoit d’abord très froidem(ent)”. Cela ne se fait pas sans heurts. Leurs amis doivent intervenir, négocier, afin de “racommoder” le couple déchiré. Le duc et la duchesse finissent par se retrouver dans la chambre du lieu du crime avec une mise en scène théâtrale. Finalement, “il luy rendit toute sa confiance” et tout rentre dans l’ordre.
    Au terme de ce petit exposé, la tromperie n’est pas véritablement attestée. Il demeure un point central, non élucidé et qui ne cesse de m’intriguer... quel était donc ce signe ? Je me dis que cela peut toujours servir pour mes amis lecteurs, à l’occasion...

     

    Baptiste Etienne


    Sources :
    - BnF, F FR 25 007, Mémoires, par Victor Texier, f° 14 et 15
    - Matthäus Merian, “Gravure d’Henri d’Orléans, duc de Longueville”, dans le Theâtre Européen, vers 1650
    - Nicolas Regnesson, Portrait d’Anne Geneviève de Bourbon-Condé, duchesse de Longueville, en buste de 3/4, Collection Michel Hennin, BnF, deuxième moitié du XVIIe siècle

    Bibliographie :
    -  Madeleine Foisil, « Une mort modèle. La mort du Duc de Longueville, gouverneur de Normandie (1663) », Annales de Normandie, 1982, p. 243-251 (http://www.persee.fr/doc/annor_0000-0003_1982_hos_1_1_4173)
    - Arlette Lebigre, La duchesse de Longueville, Perrin 2004
    - Rémy Scheurer, « Henri II d'Orléans-Longueville, les Suisses et le comté de Neuchâtel à la fin de la guerre de Trente Ans », dans 1648 : Die Schweiz und Europa, 1999, p. 99-109
    -  Sophie Vergnes, « La duchesse de Longueville et ses frères pendant la Fronde : de la solidarité fraternelle à l’émancipation féminine », Dix-septième siècle, n° 251, 2011 (https://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2011-2-page-309.htm)

    [ Modifié: dimanche 3 mars 2019, 09:09 ]

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    Le dictionnaire universel d’Antoine Furetière, comme tous les dictionnaires et les encyclopédies de l’époque moderne sont d’une importance capitale. À travers une normalisation des concepts qu’induit implicitement toute tentative de définition, ceux-ci nous offrent une fenêtre sur l’état de la langue et les mentalités à un moment donné.
    Ainsi, un dictionnaire ne se lit pas uniquement pour ses définitions, mais aussi pour son organisation interne, ses absences ou l’ordre des entrées pour un même terme qui induisent une hiérarchie. Prenons un autre exemple : tout le sel de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert repose sur ses renvois ingénieux et non sur le contenu des articles pris indépendamment les uns des autres.

    Antoine Furetière, né à Paris en 1619 et est issu d’une famille bourgeoise peu en vue. Il effectue des études de bonne qualité qui lui donnent d’excellentes références antiques. Avant d’être reçu comme avocat en 1645, il fait des études en droit canon. Il achète ensuite la charge de procureur fiscal de l’Abbaye de Saint-Germain-des-Prés.
    Finalement, sa carrière prend une autre voie puisqu’il entre dans l’état ecclésiastique et devient abbé de Chalivoy dans le diocèse de Bourges puis prieur de Chuines. En parallèle, il développe un véritable intérêt pour les lettres et publie dès 1653 son Voyage de Mercure et ses Poésies diverses en 1655. Ami de La Fontaine, il est reconnu par Racine et Molière. En 1662, il est élu à l’Académie Française. Alors que l’Académie travaille à un dictionnaire depuis 1637, Furetière projette d’élaborer le sien, ce qui lui vaut une accusation de profiter de ce premier travail à son profit. La publication d’une première version de son dictionnaire lui vaut une exclusion de l’Académie. C’est sans doute ce qui explique que le Dictionnaire universel n’est publié qu’après sa mort – à titre posthume donc – en 1690 (juste avant la publication de la première édition du Dictionnaire de l’Académie).


    Le principal mérite du Dictionnaire universel repose sur sa richesse qui en fait l’un des meilleurs instruments de travail lexicographique du XVIIe siècle. C’est une véritable somme linguistique de son époque, incluant les termes spécifiques liés au monde du travail et des techniques. En somme, c’est un véritable témoin de la langue de son temps, et ce, malgré des lacunes. N’y apparaissent pas certains termes qui figurent dans le Dictionnaire français de Richelet ou dans celui de l’Académie, mais dans l’ensemble le dictionnaire de Furetière est plus complet et sa volonté est essentiellement didactique à travers des définition courtes et percutantes. Enfin, les termes définis sont régulièrement accompagnés de l’étymologie, ce qui n’est pas sans mérite pour l’époque.
     
    Nous l’avons dit, la publication du Dictionnaire universel de Furetière intervient dans un contexte de concurrence avec celui de l’Académie française. En fait, le jour même où les Académiciens présentent un exemplaire de leur travail à Louis XIV, l’éditeur hollandais Leers présente quant à lui sa seconde édition du dictionnaire de Furetière. Toutefois, les deux dictionnaires n’ont pas la même vocation puisque celui de l’Académie vise à proposer un lexique normatif qui légifère quant aux configurations des usages de la langue. La notion de pureté linguistique y est omniprésente. Le fait que ce dictionnaire soit proposé par une quarantaine des plus éminents hommes de lettres est considéré comme une garantie majeure de son autorité.
    La réaction de l’Académie française face à la publication d’un premier Essais de son dictionnaire et la suppression de son privilège royal pousse Pierre Bayle, un partisan de Furetière, à le convaincre du bien-fondé d’une publication en Hollande où il est alors réfugié. Bayle, lui-même, préface cet ouvrage majeur qui vaudra un procès à son auteur.

    Dès sa sortie, le dictionnaire est immédiatement en butte à de violentes critiques. Les Jésuites évoquent un ouvrage infecté du « venin de l’Hérésie » et entreprennent très rapidement l’élaboration d’un nouveau dictionnaire universel « catholiquement correct » et qui n’est publié qu’en 1704. Ces querelles autour du Dictionnaire de Furetière sont finalement créatrices puisqu’il en résulte de grands travaux divisés en deux camps opposés. L’un savant, qui tend à favoriser la norme du « bon usage » dont Furetière est partisan, et l’autre plus « mondain », celle du « bel usage » incarné par une majorité des membres de l’Académie française. En somme, si Furetière s’est inspiré du travail de l’Académie – il s’est véritablement passionné pour le projet de dictionnaire – il en fait “autre chose” et c’est ce qui explique qu’il s’agisse toujours d’une référence de nos jours, essentiel aux recherches généalogiques et historiques.

     

    Baptiste Etienne


    Sources :
    - Antoine FURETIÈRE, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots français, tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts, 1690 (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50614b)

    Bibliographie :
    - Fabienne GÉGOU, Antoine Furetière, abbé de Chalivoy ou la Chute d'un immortel, Nizet, Paris, 1963
    - François OST, Furetière - La démocratisation de la langue, Michalon, Paris, 2008
    - Alain REY, Antoine Furetière - Un précurseur des Lumières sous Louis XIV, Fayard, Paris 2006 (https://books.google.fr/books?id=Bq6-5Ju8HPEC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false)

    [ Modifié: vendredi 21 mai 2021, 12:37 ]

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    Empli de nos idées préconçues et de nos stéréotypes contemporains, nous pensons tous savoir ce qu’est un bourgeois. On est pourtant bien loin de la chanson de Jacques Brel de 1962, dans laquelle il met en accusation l’ascension sociale. Ce chanteur d’exception se plait à évoquer des provocations répétées vis-à-vis des notaires embourgeoisés sortant de l’Hôtel des Trois Faisans. Prenons, par exemple, le Registre des délibérations de l’assemblée des marchands qui fait état de listes de bourgeois rouennais des années 1648 à 1678. Ceux-ci ont alors voix au chapitre lors des assemblées générales.
    À Rouen, ils participent donc à l’élection des prieurs et des consuls des marchands. Organisé sur un modèle proche des parisiens et des lyonnais, cette institution a un pouvoir d’inspection des marchandises qui arrivent dans la ville. Pour ce faire, ils nomment des commis et inspecteurs chargés de visiter les cargaisons et de condamner ceux qui apportent des marchandises de mauvaise qualité. Ces juges sont élus et les bourgeois participent effectivement au suffrage.
    Ils sont aussi invités à voter pour les officiers municipaux lors des assemblées générales de la ville. Celles-ci offrent la possibilité d’élire les magistrats municipaux, appelés maires ou “premiers échevins”, comme c’est le cas à Rouen. Le choix d’un maire est d’importance puisqu’il préside les bureaux servants où se décident la majeure partie des options du corps de ville, le maire est donc amené à entretenir une imposante correspondance avec les autres organes de l’administration royale. N’allez pourtant pas croire que ces élections se font au suffrage universel ! Dans les faits, seuls les plus riches et les plus puissants votent, toujours des hommes semble-t-il. Ce droit de vote appartient en théorie à tous les chefs de famille, mais les candidatures ne sont pas libres. On peut même parler d’une véritable cooptation puisque les électeurs doivent choisir leur favori sur des listes d’éligibles. L’assemblée propose ensuite trois noms au roi qui peut choisir de suivre le suffrage ou non. Toutefois, comme dans le cas Nantais, sur 126 élections de maires entre 1598 et 1789, 100 résultats peuvent être analysés et la concorde prédomine. Dans l’écrasante majorité des cas l’autorité centrale suit totalement ou partiellement l’expression des votes (en choisissant le candidat ayant obtenu le plus de voix ou dans la liste des trois noms suggérés). Seuls 7 exemples laissent apparaître de graves conflits qui provoquent un choix hors de la liste.
    En somme, qu’est-ce qu’un bourgeois durant l’époque moderne ? S’il faut résider en général un an dans une ville pour revendiquer le statut d’habitant, le bourgeois est un peu plus que cela. On peut considérer qu’il s’agit d’un habitant “hyper-privilégié”, une sorte d’élite urbaine par excellence. Ainsi, dans les villes, comme dans toute la société d’Ancien Régime, l’idée de hiérarchie est centrale. Pour devenir bourgeois, il faut donc remplir un certain nombre de critères juridiques : la naissance dans la cité, la résidence, au moins lors des fêtes principales, l'hérédité du statut de bourgeois, le paiement d'un droit d'entrée, la participation aux charges communes, l'inscription sur un livre…  
    Être bourgeois dans une ville c’est bénéficier d’un statut juridique spécifique et appartenir à une communauté, mais c’est aussi bénéficier de droits et de devoirs :
    - Les bourgeois bénéficient d’une certaine protection de la justice municipale puisqu’ils ne peuvent être jugés ailleurs que dans leur ville de rattachement. Ils échappent donc aux saisies de biens ou aux peines d’emprisonnement pour dettes. Et ce n’est pas rien puisque c’est la première cause d’emprisonnement durant l’époque moderne.
    - Les bourgeois bénéficient aussi d’avantages fiscaux qui peuvent varier en fonction de ses activités. Ainsi, ceux qui ont ce statut ne sont pas soumis à la fiscalité directe, telle que la taille à Valenciennes. En ville, ils restent assujettis à une certaine charge fiscale sur les produits alimentaires (bière, vin, sel ou encore hareng) et sur les productions manufacturés. Ces impôts assurent effectivement une bonne part des recettes des municipalités.
    - Enfin, les bourgeois doivent participer à la défense de la ville à travers les milices bourgeoises. Ils sont donc contraints de protéger les remparts et les portes, de sécuriser les rues et d’encadrer les cérémonies publiques. Si l’objectif pour les villes est de ne pas dépendre de garnisons de soldats, il demeure que cette charge est lourde puisque les bourgeois ne sont pas rémunérés pour les interventions intramuros, mais seulement si l’exercice de leur fonction sort du cadre urbain.

    Toutefois, Jacques Brel n’est pas si loin ! Il suffit de jeter un œil à la Muse Normande du petit imprimeur rouennais David Ferrand (v. 1590-1660) pour s’en rendre compte. Souvent critique, parfois railleur et impertinent, celui-ci ne cesse de dépeindre le statut de bourgeois comme un jeu d’apparences où le vrai et le faux se mêlent et s’entremêlent :
    « Voyant ainsi tant de plaisans moder,
    Et les bourgeois & courtaux de boutique,
    Comme jadis un Roland frenatique,
    De drap de Thyr leur corps accomoder »
    Dans ses poèmes, David Ferrand utilise le patois purinique, la langue des ouvriers du drap de Rouen, pour se faire le porte-parole du petit peuple. Le personnage du bourgeois est alors comparé à un simple tenancier de boutique qui - enrichi par ce commerce - pourrait se vêtir des habits les plus distingués afin de tromper son monde.

     

    Baptiste Etienne


    Sources :
    - AD S-M, 201 BP 270, Registre des délibérations de l’assemblée des marchands (1648-1678), assemblée générale du 10 janvier 1651
    - Alexandre HÉRON, La Muse normande de David Ferrand - publiée d’après les livrets originaux (1625-1653), et l’inventaire général de 1655, avec introduction, notes et glossaire, vol. 1, impr. de E. Cagniard, 1891


    Bibliographie :
    - Simona CERUTTI, Robert DESCIMON et Maarten PRAK, « Le droit de bourgeoisie dans l’Europe moderne - Groupe de travail international. Paris, 7-8-9 octobre 1993 », Histoire intellectuelle - Réflexions collectives sur l’histoire sociale, n° 11, 1993 (http://journals.openedition.org/ccrh/2778)
    - Yves JUNOT, Les bourgeois de Valenciennes - Anatomie d’une élite dans la ville (1500-1630), Presses Universitaires du Septentrion, 2009 (https://books.google.fr/books?id=-bjgxgNWOGsC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false)
    - Guy SAUPIN, « Les élections municipales à Nantes sous l’Ancien Régime (1565-1789) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, n° 3, 1983, p. 429-450 (http://www.persee.fr/doc/abpo_0399-0826_1983_num_90_3_3133)

    [ Modifié: mardi 29 mai 2018, 11:31 ]

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    Gratuit

    « 1645
    Audit mois de janvier, fut executée une pauvre femme de la parroisse de St Maclou, en la rue des Ravisez qui, par desespoir ou autre violence, occit d'un couteau en plusieurs parties son enfant qui estoit aagé environ de sept (ans), et fut pendue et estranglé, ayant auparavant senti par trois fois  le feu, et son corps fut donné au curé dudict St Maclou, et inhumé dans le cimetiere »   
    Plantons le décor : le drame se déroule paroisse Saint-Maclou de Rouen et ce n'est pas un hasard. Avec 21,74 ha, il s'agit de la seconde paroisse rouennaise en terme de superficie. Néanmoins, elle est sans conteste la plus populeuse de la ville, avec plus de douze mille habitants au milieu du XVIIe siècle, soit 30 % de l'ensemble de la population à elle seule. Résidant dans la rue des Rats-Visés, cette « pauvre femme » devait dépendre professionnellement de l'activité drapière, très importante à Rouen à cette époque. Les pollutions visuelles et olfactives renvoient les métiers du draps aux marges de l’espace urbain. Par ailleurs, au XVIIIe siècle, les ouvrières du textiles – couturières, fileuses ou ouvrières en dentelle – représentent une bonne part des accusées d'infanticides devant le Parlement de Paris.  
    Encore de nos jours, le meurtre intrafamilial alimente périodiquement la rubrique « faits divers » des médias, mais que se passe-t-il en janvier 1645 ? On exécute une femme qui aurait commis, à une date inconnue, le meurtre de son jeune enfant à l'aide d'un objet contondant. Ce n'est qu'au XVIe siècle que la criminalisation de l'infanticide et de l'avortement devient systématique. Or, l'infanticide a bénéficié d'une vision ambiguë durant l'époque moderne et cette exécution n'échappe pas à la règle.
    Crime de sang et péché contre la religion, l’infanticide cristallise donc une double transgression et occupe le sommet de la hiérarchie pénale, à l’image du parricide. Par ailleurs, dans la mémoire collective, l'histoire d'Abraham, à qui Dieu demande de lui donner son fils unique en sacrifice, est tout à fait révélatrice de l'interdit attaché au meurtre de l'enfant. Sans être un crime de masse, l'infanticide occupe une place privilégiée des jugements. Dans les pays habsbourgeois par exemple, les coupables sont enterrées vivantes puis empalées à l’aide d’un pieu, mais à partir de la fin du XVIIe siècle, on préfère la décapitation. La preuve du crime dans le cas rouennais qui nous intéresse ne semble pas poser de problème majeur et on observe un châtiment exemplaire.  Pendue et étranglée, la meurtrière est d'abord passée à trois reprises par le feu. Cette pendaison s'est probablement déroulée sur le lieu du crime, ce qui représente la peine la plus généralement donnée lorsque la culpabilité de l'accusée ne fait aucun doute. Durant le XVIIIe siècle, devant le Parlement de Paris, on peut considérer que près d'un quart des accusées d'infanticides sont condamnées à la peine capitale. Toutefois, tout au long du siècle des Lumières, la peine est souvent atténuée en appel. L’indulgence des juges atteint d’ailleurs son apogée sous le règne de Louis XVI, y compris lorsque la culpabilité de l’accusée est presque incontestable.   
    Enfin, une inconnue demeure : qui est cette « pauvre femme » ? En la matière, le Journal de Philippe Josse ne fourni aucune information supplémentaire. La consultation des registres paroissiaux n'est d'aucun secours puisque les condamnés à mort n'y figurent habituellement pas. Il demeure qu'elle a sans doute bénéficié d'un traitement de faveur – tout relatif j'en conviens – puisqu'elle est finalement inhumée en terre consacrée. Or, la sépulture ecclésiastique des condamnés à mort ne peut intervenir qu'avec l'accord du pouvoir civil. Toutefois, celle-ci a du faire l'objet d'une inhumation dans un espace spécifique et a été inscrite à part dans les registres. Comment interpréter cet isolement post mortem ? Les autorités ne souhaitent naturellement pas inhumer les suppliciées dans les fosses communes, aux côtés des autres morts qui ne sont pas frappés d'opprobres...   

     

    Baptiste Etienne


    Source :
    - BM Rouen, Ms. M. 41, Journal, par Philippe Josse
        
    Bibliographie :
    - Stéphane MINVIELLE, « Marie Bonfils, une veuve accusée d'infanticide dans le Bordelais de la fin du XVIIe siècle », Dix-septième siècle, n° 249, 2010 (https://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2010-4-page-623.htm)
    - Daniela TINKOVÁ, « Protéger ou punir ? Les voies de la décriminalisation de l'infanticide en France et dans le domaine des Habsbourg (XVIIIe-XIXe siècles) », Crime, Histoire & Sociétés, vol. 9, n°2, 2005 (https://chs.revues.org/290#bodyftn15)

    [ Modifié: samedi 21 novembre 2020, 12:45 ]

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