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« 1645
Audit mois de janvier, fut executée une pauvre femme de la parroisse de St Maclou, en la rue des Ravisez qui, par desespoir ou autre violence, occit d'un couteau en plusieurs parties son enfant qui estoit aagé environ de sept (ans), et fut pendue et estranglé, ayant auparavant senti par trois fois  le feu, et son corps fut donné au curé dudict St Maclou, et inhumé dans le cimetiere »   
Plantons le décor : le drame se déroule paroisse Saint-Maclou de Rouen et ce n'est pas un hasard. Avec 21,74 ha, il s'agit de la seconde paroisse rouennaise en terme de superficie. Néanmoins, elle est sans conteste la plus populeuse de la ville, avec plus de douze mille habitants au milieu du XVIIe siècle, soit 30 % de l'ensemble de la population à elle seule. Résidant dans la rue des Rats-Visés, cette « pauvre femme » devait dépendre professionnellement de l'activité drapière, très importante à Rouen à cette époque. Les pollutions visuelles et olfactives renvoient les métiers du draps aux marges de l’espace urbain. Par ailleurs, au XVIIIe siècle, les ouvrières du textiles – couturières, fileuses ou ouvrières en dentelle – représentent une bonne part des accusées d'infanticides devant le Parlement de Paris.  
Encore de nos jours, le meurtre intrafamilial alimente périodiquement la rubrique « faits divers » des médias, mais que se passe-t-il en janvier 1645 ? On exécute une femme qui aurait commis, à une date inconnue, le meurtre de son jeune enfant à l'aide d'un objet contondant. Ce n'est qu'au XVIe siècle que la criminalisation de l'infanticide et de l'avortement devient systématique. Or, l'infanticide a bénéficié d'une vision ambiguë durant l'époque moderne et cette exécution n'échappe pas à la règle.
Crime de sang et péché contre la religion, l’infanticide cristallise donc une double transgression et occupe le sommet de la hiérarchie pénale, à l’image du parricide. Par ailleurs, dans la mémoire collective, l'histoire d'Abraham, à qui Dieu demande de lui donner son fils unique en sacrifice, est tout à fait révélatrice de l'interdit attaché au meurtre de l'enfant. Sans être un crime de masse, l'infanticide occupe une place privilégiée des jugements. Dans les pays habsbourgeois par exemple, les coupables sont enterrées vivantes puis empalées à l’aide d’un pieu, mais à partir de la fin du XVIIe siècle, on préfère la décapitation. La preuve du crime dans le cas rouennais qui nous intéresse ne semble pas poser de problème majeur et on observe un châtiment exemplaire.  Pendue et étranglée, la meurtrière est d'abord passée à trois reprises par le feu. Cette pendaison s'est probablement déroulée sur le lieu du crime, ce qui représente la peine la plus généralement donnée lorsque la culpabilité de l'accusée ne fait aucun doute. Durant le XVIIIe siècle, devant le Parlement de Paris, on peut considérer que près d'un quart des accusées d'infanticides sont condamnées à la peine capitale. Toutefois, tout au long du siècle des Lumières, la peine est souvent atténuée en appel. L’indulgence des juges atteint d’ailleurs son apogée sous le règne de Louis XVI, y compris lorsque la culpabilité de l’accusée est presque incontestable.   
Enfin, une inconnue demeure : qui est cette « pauvre femme » ? En la matière, le Journal de Philippe Josse ne fourni aucune information supplémentaire. La consultation des registres paroissiaux n'est d'aucun secours puisque les condamnés à mort n'y figurent habituellement pas. Il demeure qu'elle a sans doute bénéficié d'un traitement de faveur – tout relatif j'en conviens – puisqu'elle est finalement inhumée en terre consacrée. Or, la sépulture ecclésiastique des condamnés à mort ne peut intervenir qu'avec l'accord du pouvoir civil. Toutefois, celle-ci a du faire l'objet d'une inhumation dans un espace spécifique et a été inscrite à part dans les registres. Comment interpréter cet isolement post mortem ? Les autorités ne souhaitent naturellement pas inhumer les suppliciées dans les fosses communes, aux côtés des autres morts qui ne sont pas frappés d'opprobres...   

 

Baptiste Etienne


Source :
- BM Rouen, Ms. M. 41, Journal, par Philippe Josse
    
Bibliographie :
- Stéphane MINVIELLE, « Marie Bonfils, une veuve accusée d'infanticide dans le Bordelais de la fin du XVIIe siècle », Dix-septième siècle, n° 249, 2010 (https://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2010-4-page-623.htm)
- Daniela TINKOVÁ, « Protéger ou punir ? Les voies de la décriminalisation de l'infanticide en France et dans le domaine des Habsbourg (XVIIIe-XIXe siècles) », Crime, Histoire & Sociétés, vol. 9, n°2, 2005 (https://chs.revues.org/290#bodyftn15)

[ Modifié: samedi 21 novembre 2020, 12:45 ]